Dario Fo, un militant
«Lorsqu’un enfant naît, ses parents s’empressent de le faire rire, en lui faisant des grimaces. Pourquoi ? Parce que, au moment où il rit, cela signifie que l’intelligence est née. Il a su distinguer le vrai du faux, le réel de l’imaginaire, la grimace de la menace. Il a su voir au-delà du masque. Le rire libère l'homme de la peur. Tout obscurantisme, tout système de dictature est fondé sur la peur. Alors, rions!”
Ces quelques phrases extraites d’un petit livre intitulé « le gai savoir de l’acteur » sont de Dario Fo. Auteur prolifique de plus de cinquante textes publiés, dont la plupart sont écrits pour le théâtre, également acteur, Dario Fo est l’héritier de la comedia dell’arte, il se veut avant tout bouffon et clown. Ses cibles sont tout ce qui procède de l’ordre établi : le pouvoir politique, l’église catholique et le pape, les patrons, le capitalisme, la répression politique… Dans « Mort accidentelle d’un anarchiste », un fou démonte les arguments des policiers responsables de la mort d’un anarchiste dans un commissariat ; dans « Faut pas payer », des ouvrières exaspérées par la hausse des prix et de la misère inventent des stratagèmes pour voler dans les supermarchés et sont confrontées à l’hypocrisie de leurs maris et de la police ; dans « Mystère Bouffe », un jongleur du Moyen-Âge se moque du pape, de la religion et des dévots… Le rire féroce de Dario Fo déclenche celui de ses spectateurs aux dépens des puissants, de ceux qui possèdent, de ceux qui dominent, de ceux qui méprisent…
Clairement engagé très à gauche, porteur d’une pensée anarchiste nourrie de littérature et d’histoire populaire, Dario Fo était-il pour autant un militant ? Il a été attaqué de toutes parts, la toute puissante église italienne a essayé en vain de le faire taire, le Parti communiste a dénoncé ses dérives libertaires, les tenants du pouvoir l’ont qualifié de populiste, il a été interdit de séjour aux États-Unis. Silvio Berlusconi déclara la honte qu’il ressentait pour l’Italie quand en 1997 il fut le lauréat du prix Nobel de littérature. Mais jamais, il n’a érigé des dogmes, indiqué des chemins, dicté des conduites ou construit des systèmes. Le rire et la bouffonnerie lui tenaient lieu de programme. Il n’a reculé devant rien, ni l’obscurantisme de la religion, ni le fascisme, ni l’armée, ni le libéralisme, ni la bêtise, ni la répression.
Huit ans après sa mort, ses textes sont traduits et joués dans toutes les langues, ils sont enseignés dans les universités les plus prestigieuses, « Mystère Bouffe » est inscrit au répertoire de la Comédie française, On a institutionnalisé Dario Fo, mais cela n’a pas pu éteindre son rire tonitruant.
À coté d’une certaine expression militante ascétique et dogmatique, le rire de Dario Fo est le ciment d’une solidarité joyeuse et résistante.
Jean-Luc Becquaert.
À propos de l'auteur(e) :
Jean-Luc Becquaert
Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.