LE CONDENSATEUR #3 : Une brève histoire de l'énergie

Publié le 31/01/2020 à 16:38 | Écrit par Elie Ben-Ahmed | Temps de lecture : 06m15s

« Le Condensateur » est une série de capsules écrites, de synthèses de synthèses, ayant pour principale préoccupation la vulgarisation de thèmes scientifiques en relation directe avec les enjeux écologiques de notre temps. La source principale de ce format sont les cours dispensés par Jean Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien, à l’École des Mines de Paris. Certains passages sont explicitement des citations.

Aujourd'hui, on sort les graphiques. Et pas pour n'importe quoi !


Vous voyez l'arc-en-ciel au-dessus ? On se le décrypte ? Allez, c'est parti.

Nous allons historiciser l'utilisation de l'énergie (donc de machines) d'un individu moyen en admettant qu'il consomme à peu près 20 000 kWh par an, c'est-à-dire, environ 200 esclaves énergétiques. Si t'es déjà paumé à ce stade là, je t'invite à lire les deux premiers épisodes du Condensateur. Condensateur #1 Condensateur 2 #2 

Revenons 150 ans en arrière. A cette époque, le bois est l'énergie la plus utilisée par l'Homme. C'est avec elle que nous nous chauffons, que nous faisons fonctionner les premières machines à vapeur, que nous alimentons nos forges et que des écossais font du sport en lançant des troncs d'arbres. A noter ici que le début de la métallurgie a été un facteur décisif de la déforestation en Europe. Un terrien consomme alors en moyenne 5 000 kWh de bois par an et, depuis cette époque, la quantité de bois utilisée par personne a diminué. C'est la seule énergie qui ai suivi cette évolution.

Par la suite, les hommes se sont mis à utiliser du charbon, une énergie qui va venir substituer en partie le bois. En Europe, ce sera d'abord du charbon de bois, puis du charbon de terre dont nous nous servirons pour alimenter forges et machines à vapeur.

Il y a un demi-siècle, la quantité de charbon utilisée par personne était très faible. De nos jours, nous consommons un peu plus de 5000 kWh de charbon par an et par personne.

Je vous le donne en mille, cela signifie que la quantité de charbon par personne n'a jamais baissé. En Europe, de nos jours, nous en utilisons tous par l'intermédiaire de l'importation, notamment depuis la Chine. Le charbon n'est donc pas du tout une énergie du passé.

Aujourd'hui, les deux tiers du charbon servent à alimenter des centrales électriques, 10% sont alloués à la métallurgie et le reste nous sert à alimenter des réseaux de chaleur. Pour vous donner une idée, il y a aujourd'hui entre 30 et 40 fois plus de centrales à charbon dans le monde que de réacteurs nucléaires en France (58 réacteurs). L'accord de Paris suppose que la totalité des centrales à charbon soient démantelées d'ici à 2050.

Il y en a qui ont de l'espoir! Je passe.

En fait, le graphique nous montre la chose suivante. Nous ne substituons pas une énergie à une autre, nous les superposons. Comme par exemple, l'hydroélectricité ou le nucléaire qui se sont superposés au total énergétique.

Et le pétrole alors! Peut être le plus gros sujet. Le pétrole n'a jamais substitué le charbon. C'est une énergie qui n'a pas du tout le même rôle, c'est l'énergie reine de la mobilité et de notre économie. En témoigne cette corrélation entre notre consommation de pétrole mondial et le PIB par habitant global. Lorsque notre consommation de pétrole croit, notre PIB par habitant a tendance à croître et vice versa. Le choc pétrolier de 1973 illustre assez parfaitement cette relation et la crise de 2008 aussi. Cela marche aussi pour le PIB mondial lorsque qu'on le corrèle à l'énergie mondiale (toutes les énergies).

Le pétrole présente des avantages énormes : il est liquide à température ambiante donc il se transporte extrêmement facilement. De plus, il est dense, ce qui permet aux modes de transport de l'emporter. Ainsi aujourd'hui 98% de ce qui roule, qui vole ou qui navigue utilise du pétrole.

Le gaz, lui, n'est pas venu remplacer le pétrole, il est venu se rajouter à la facture. Et il n'est pas vraiment l'énergie du futur. (et si elle l'était, serait-ce vraiment souhaitable?) L'hypothèse est la suivante : la raréfaction du pétrole ainsi que les problèmes environnementaux liés au charbon pourraient accélérer notre consommation de gaz lors des prochaines décennies. En témoigne l'investissement grandissant de multinationales telles que Total dans l'exploitation du gaz, l'entreprise souhaitant que sa production gazière représente 60% de sa production d'hydrocarbures d'ici 2035. Ainsi, si l'utilisation du gaz continuait à augmenter lors des prochaines décennies avec un taux d'accroissement annuel de 2,8% au départ des années 2000, les ressources supposées seraient épuisées en 2075. Si ce taux venait à atteindre les 5% par an, toujours au départ des années 2000, l'épuisement interviendrait à l'horizon 2055. Dans tous les cas, l'épuisement intervient au cours de la deuxième moitié de notre siècle.

Allons-y gaiement! Productivisme meurtrier, dogme de la croissance, mégalomanie, puérilité... Je vous laisse compléter la liste.

Et les énergies renouvelables alors, on en est où? Nan parce qu'elles sont quand même censées nous sauver le cul dans l'histoire! Deuxième fournée : un petit diagramme et un camembert (AOC mais pas très bio).

 

 Nous nous contenterons ici de faire l'observation suivante : les ENR ça pèse que pouic !

Entre 2000 et 2017, la part du charbon dans la consommation d'énergie mondiale a augmenté 15 fois plus que le solaire et 7 fois plus que l'éolien. Les trois énergies qui ont le plus augmenté sur cette période et de très loin sont d'abord le charbon, ensuite le gaz et enfin le pétrole.

Si l'on regarde aujourd'hui ce que nous avons comme approvisionnement, grâce au charmant et motivant camembert ci-dessus, nous voyons clairement que ce sont les combustibles fossiles qui dominent les chaînes d'approvisionnement mondiales, avec en premier lieu le pétrole (31%), puis le charbon (26%), puis le gaz (22%). Cela nous amène à un total d'environ 79% de l'énergie primaire mondiale occupée par ces trois énergies fossiles, le pétrole toujours en tête bien évidemment.

Si l'on regarde uniquement les ENR : en tête nous avons le bois et l'hydro-électricité. En France ce sont ces deux ENR qui priment. Au niveau mondial et français, le reste n'est que commentaire.

Revenons à l'Histoire.


Au début de la Révolution Industrielle (en se rappelant que l’espérance de vie au 19ème siècle n’excédait pas les 40 ans), le graphique ci-dessus nous révèle que la population est de l'ordre de 500 millions à 1 milliards d'individus. En deux siècles, notre croissance démographique est hyperbolique et le nombre de ressources que nous consommons s'est extrêmement accrue. Le constat est là : sans l'abondance énergétique, nous n'aurions pas connu cette évolution démographique. Nos agriculteurs céréaliers n'auraient pas vu leurs rendements multipliés par 10 au cours du XXème siècle, nous n'aurions pas pu acheminer eau potable et produits alimentaires en flux tendus dans les villes, nous n'utiliserions pas des voitures pesant 2 tonnes d'acier pour transbahuter 80 kilos de chair, on ne pourrait pas commander des merdouilles contrefaites sur d'obscurs sites chinois...

En bref, nombre d’événements et d'avènements humains n'auraient pu advenir dans un monde sans énergie fossile, y compris un passage d'un milliard à près de 8 milliards d'êtres humains. Alors la question se pose. A partir du moment où nous subissons une décrue énergétique forte, la population reste-t-elle à 8 milliards d'individus ? Pas sûr...

Entre les années 1950 et aujourd'hui, la quantité d'énergie utilisée par les hommes a été multipliée par un facteur 10 et le parc de machines multiplié par quelques dizaines (environs 80). Le monde du futur proche ne sera pas dans la lignée du siècle dernier.

« Les systèmes physiques sont des systèmes exceptionnellement linéaires et en général non linéaires, ainsi dans ces systèmes nous ne pouvons raisonner par induction […] Les problèmes que nous avons aujourd'hui ne se qualifient pas nécessairement de façon différente par rapport au passé, par contre ils se quantifient de façon différente par rapport au passé. »

Nous avons aujourd'hui un problème d'ordre de grandeur sidérant, nous avons mis le système terre hors d'équilibre et il n'est pas sûr qu'il reste dans cet état encore longtemps. Le dilemme est cornélien : soit nous attendons que notre système déclenche l'instabilité indépendamment de nos choix, soit nous activons cette instabilité par nous-même en gérant notre décrue énergétique et en s'impliquant activement dans la baisse de notre niveau de vie.

Cela sera l'un ou l'autre. Tous ensemble pour le déclin !

Je vous invite à consulter le site internet de Jean Marc Jancovici, jancovici.com , et pour les plus accrochés, le cours vidéo suivant   Cours 1 - L'énergie - .

E.B.A




À propos de l'auteur(e) :

Elie Ben-Ahmed

Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.


Volontaire en sévices civiques

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