Mode sombre

Ils sont jeunes, ils aménagent un fourgon et ils partent à la rencontre d'eux-mêmes et des autres. Quatre mois pour « organiser les bonnes rencontres » et se laisser surprendre par le hasard. Quatre mois pour vivre et relater les initiatives, les alternatives, les chemins de traverse que nous pouvons emprunter.

Pause café, la première sur notre route. Arrivée 10h30 à Montceau-les-Mines, ville industrieuse en pleine désertification. Elle fait partie de celles où le malaise est palpable. Chaque regard sur ce qui vous entoure vous plonge dans un spleen à en devenir placide. On se dit qu'on va se trouver un rade en centre-ville, on loupe la sortie, nous voici dans les faubourgs, à Bois-du-Verne. C'est grâce à un hasard bien organisé que nous tombons sur la Bouquinerie et son Bouquine Bar. Un gilet jaune habille une poutre au milieu du café. La salle ressemblerait à un fast food minable si les murs n'étaient pas tapissés de bouquins en tout genre, des anciens, des moins vieux, des fanzines. C'est chaleureux. Les tenanciers, Corinne et José, nous accueillent simplement, à la bonne franquette. S'en suit une tchatche qui durera une bonne heure.

 

On parle de la ville, des gilets jaunes, surtout des gens. Ici, 50% des habitants sont au RSA et l'autre moitié galère pour ses fins de mois. On comprend mieux cette détresse, cette désespérance furtive qui imprègne la ville et que nous choisissons de voir... ou non.

Corinne et José, qui n'ont rien de commun avec les Thénardiers, ont ouvert leur librairie populaire il y a plus d'un an. Échoppe à laquelle est venu se greffer un bar sans alcool l'été dernier. Corinne nous explique que face à la fermeture des nombreux commerces de cette petite banlieue et plus généralement du centre-ville de Montceau, il était vital de créer un lieu de rencontre ouvert à tous. Le Bouquine Bar est ainsi devenu en peu de temps le foyer populaire qu'il était amené à devenir, un lieu où les personnes en difficulté -comme les retraités du quartier- peuvent trouver du soutien. Malgré les couleurs affichées dès l'entrée avec leur camion tagué pour le marché aux puces populaires organisé par leurs soins tous les premiers dimanches du mois, la dégaine de José et le reggae en fond, Corinne fait remarquer que même quelques droitards et curieux en tout genre s'y risquent. En effet, on s'y sent comme chez soi, à l'inverse des quelques associations de la mairie où, selon Corinne, les gens ne se sentent jamais tout à fait à l'aise.

 

Au sein du mouvement des Gilets Jaunes de Montceau, Corinne est une des figures locales ayant voulu mettre son énergie à fédérer les gens, les laissés pour compte. Son intention, proche des principes de l'éducation populaire, était de susciter l'initiative et la convivialité parmi les pas-contents du coin, de laisser se faire et se défaire.

A Montceau-les-Mines, comme partout, les guerres de clochers noient la lutte.

Ici nous dit-on, les Gilets Jaunes se sont faits noyauter par la France Insoumise et le Front National. Le jour et la nuit ! En effet, les militants de la FI avaient à cœur de participer aux débats en journée. Une fois la nuit tombée, les militants du FN arrivaient sur les ronds-point et gardaient les cabanes. Les membres des deux partis avançant colorés.

D'autre part, Corinne nous explique la tension latente entre les différentes revendications. Les démunis portent leur voix pour une plus grande dignité, celle qui se trouve avant tout dans l'assiette. D'autres citoyens pensent démocratie populaire, le RIC avant tout. Ainsi, la ville a accueilli l'une des Assemblées des Assemblées, événement en faveur de la structuration nationale du mouvement des Gilets Jaunes. Selon Corinne, la manière dont cette assemblée avait d'institutionnaliser la parole pesait sur la liberté d'expression, en plus de reproduire des usages élitistes qui n'avaient pas leur place dans le mouvement : petits fours et pièces montées. Un des effets collatéraux a donc été celui d'invisibiliser la souffrance première de la localité, celle du frigo vide, de la misère quotidienne. Au Bouquine Bar de Corinne et José, on partage des pâtes et on distribue des cafés à ceux dont l'estomac continue de grogner.

Pour nous, c'est l'heure de partir, encore de la route avant d'arriver à notre première destination, finalement notre deuxième. Un passage aux toilettes en slalomant entre des caisses remplies de polars de San Antonio, un au-revoir chaleureux, et on remonte dans la tire. Direction Tarnac où un dangereux groupe d'anarcho-terroristes nous attendent.

La Bouquinerie

 

Margot B - Elie B.A

 

 

 

 


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À propos de l'auteur(e) :

Elie Ben-Ahmed

Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.


Volontaire en sévices civiques

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À propos du(de la) co-auteur(e) :

Margot Barthélémy

Biographie en cours de rédaction.


Flâneuse dilettante

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