Déconfiture en confinement
« Officiellement, c’est pour faire des mots fléchés. Mais je soupçonne ma femme de me tromper. Oui, je suis presque sûr qu’elle fait des rallonges sur ses attestations. On est un peu à court de papiers officiels parce qu’on est cinq à la maison, qu’on a épuisé la cartouche de l’imprimante et qu’on ne reçoit le journal qu’une fois par jour. » A l’autre bout du MSN, Edouard P. est effondré. Le stylo Frixion Ball Pilot a sans doute ruiné son couple. J’essaye de le rassurer en lui disant qu’à Libres Commères, on a eu des dizaines de témoignages de désobéissance civile. Des résistants qui cochent exprès deux ou trois cases à la fois pour aller acheter des romans dans les grandes surfaces. Des insoumis comme Roux de Bézieux qui préfèrent se prendre des prunes à 200 boules plutôt que de passer le week-end à Paris, dans le VIIIème arrondissement. Des durs à cuire qui refusent de se laver les mains avant d’applaudir à 20h00. Des hommes de l’ombre en chaussons qui sortent des cadavres jusqu’au conteneur à verre et qui se mettent à trottiner pour faire croire qu’ils font du sport alors qu’ils sont déjà à moitié ivres et que leur compagne ASH va rentrer de l’EHPAD en passant par l’Intermarché. Des chiens qui n’en peuvent plus de sortir leur famille à la queue leu leu tout au long de la journée. Des propriétaires de pavillon à jardinet brûlés au quatrième degré par le soleil qui vont incognito acheter de la Biaphine à la pharmacie juste avant la fermeture. Des fumeurs qui sortent masqués et qui se retrouvent pour tirer un petit coup à l’abri des caméras de surveillance. Des hackers qui tracent les déplacements de voitures de police pour prévenir des réfractaires connectés en trottinette électrique. Des chasseurs qui prennent l’apéro dans la forêt comme d’habitude dès 6h00 du matin. Et puis Alexandre B. qui se déguise en forces de l’ordre pour évacuer ses poubelles sans dérogation parce qu’il ne sait ni lire ni écrire. Ou Brigitte M. qui fournit son voisin du dessus en photocopies, un psychopathe qui passe sa journée dans le bus à caresser les sièges. Et Bertrand le SDF qui se met à tousser très fort dès qu’il sent la maréchaussée. Mais rien ne semble pouvoir réconforter Edouard P. Son épouse, Emmanuelle, une militante d’ultragauche mouvance Tatiana Ventôse, bien connue des services de la DGSI, carotte le règlement et triche sur ses horaires de sortie. Elle ne joue pas le jeu du confinement, l’union nationale et la répartition équitable des tâches ménagères. Sans en être persuadé à 100%, il est tout de même à deux doigts d’appeler le 17 pour consulter. Non seulement sa femme risque sa vie toute la journée dans les couloirs d’un centre hospitalier mais en plus elle va voir une copine caissière quand elle est en repos. « Aimer flirter avec le danger à ce point-là, c’est du vice », me confie Edouard entre deux sanglots. Lui même, proviseur dans un lycée agricole, il appréhende les vacances avec trois ados à la maison et une rentrée sous COVID++. Il prépare un tuto en vidéo et leggings pour organiser le flashmob du 11 mai devant le lycée Massey Ferguson afin de dédramatiser la situation mais le coeur n’y est pas sans l’assistance maternelle d’Emmanuelle qui n’a pas l’intention de cautionner une « connerie pareille » (sic). Quand j’ai mis fin à l’entretien téléphonique, Edouard s’apprêtait à lancer un apéro Skype avec son équipe pédagogique pour faire le point sur la participation particulièrement buissonnière à la continuité pédagogique en milieu agricole. Seuls 5% des élèves sont confinés : ceux qui subissent de plein fouet la vague d’allergie aux pollens, très précoce cette année.
Si vous aussi, vous êtes victimes d’un confinement abusif, contactez Libres Commères et confiez-nous vos témoignages mais également vos lettres de dénonciation que la police aura refusées.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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