Mode sombre


J'y ai pensé, cette nuit. À ceux qui passent et qui repassent et que jamais l'on ne voit. A ceux qui passent une seule fois, mais que l'on n'oublie pas. Ceux qui sont seuls toute l'année sur qui jamais l’on ne s'apitoie. Les habitués du confinement qui aujourd'hui se sentent compris. Ceux qui font du bruit et réveillent les cités ensommeillées. Ceux qui prônent leur confort sans jamais s'en réjouir, et tiennent pour acquis les grands rayons des supermarchés. Ceux qui se pensent puissants et flippent à présent d'un simple bruit d'éternuement. Ceux qui ont le cafard dans leur appart délabrés. Ceux qui rencontrent leurs voisins après 10 ans de mitoyenneté. Nos petits vieux déjà stressés de n'avoir pas eu le temps de dire leurs histoires du passé. Ensevelis sous les non-dits, les "je t'aime", les "je te pardonne", emportés dans la grande nuit, sans une main à caresser, juste un drap blanc immaculé, les yeux tentants d'imaginer le sourire innocent du dernier-né. Ceux qui, autour d'une bougie, tentent un adieu à l'infini. Ceux qui, sans avoir jamais cru en Dieu, prient maintenant pour leur salut. Ceux qui à peine ont-ils grandi qu'ils comprennent que l'on n'est rien. Ceux qui attendent la potion, même si elle est empoisonnée. Ceux qui se collent à la défaite et qui se lèvent chaque matin pour dire au revoir à leurs gamins. Ceux qui s'en lavent les mains, du gros virus et de leurs concitoyens. Ceux qui spéculent sur la mort et qui se masquent la vérité. Et qui tiennent pour sensés leurs discours télévisés. Ceux qui comptent les minutes. Ceux qui comptent leurs fins de mois. Les méprisés d'hier qu'on applaudit à la caisse. Ceux qu'on laisse, fatigués sur un trottoir en cimetière. Ceux qui voudraient chasser le pouvoir, mais feraient pire s’ils l'avaient. Ceux pour qui la délation est devenue une occupation. Ceux qui honorent les soignants, mais n'en veulent pas dans leurs immeubles. Ceux qui se présentent en costard pour faire croire qu'ils réfléchissent, mais développent moins de pensées que n'importe quel gosse de mon quartier. Ceux qui voudraient nous laisser croire que leurs idées éculées sont révolutionnaires. Ceux qui veulent les frontières fermées, mais passent commande à l'étranger. Préférant laisser sur le palier le réfugié politique plutôt que la dernière télé HD, qui viendra encore plus abrutir leurs cerveaux neurasthéniques. Ceux qui répriment les fumeurs de joints, mais tremblent de ne plus se balader dans les allées des magasins. Ceux qui prennent leur panier au producteur du coin qu'ils laisseront crever demain. Ceux qui reportent la faute sur l'autre, mais ne se regardent jamais en face. Ceux qui veulent pendre les assassins. Ceux qui veulent voler les voleurs. Ceux qui veulent le monde à leur image. Ceux qui veulent juste piquer la place. Ceux qui s'enferment de leur plein gré. Ceux qui sont fatigués. Ceux qui éteignent la télé. Ceux qui écoutent les mouches voler. Ceux qui dorment pour oublier. Ceux qui sont déjà tués. Tout ce qui est déjà mort. Tout ce qui vit encore. 

 

"Je vais bien, ne t'en fais pas. De toute façon, je partirai bien un jour. Sur la pointe des pieds, comme je suis venue".   Ma mère


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À propos de l'auteur(e) :

Katalyne Randoulet

Travailleuse sociale en rémission professionnelle. Militante de l'amour. Éprise de maïeutique et de poésie nocturne. J'ai arpenté tous les chemins. Et ils mènent tous au rhum.


Empêcheuse de tourner en rond.

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