Mode sombre

Feuilleton précédemment paru dans la version papier de mai) à l'eau de rose où il sera question d'hyperlaxisme social et de fistule idéologique

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Episode 5

Déconfit et même plus encore (comme Denver le dernier dinosaure), le grand dadais a donc récupéré l'engin par terre. Niveau circonférence, ça lui fait penser grosso pino (François-Henri, si tu passes par là, salut ! Et la bise au CAC 40 !) à un tube cartonné d'essuie-tout. C'est pas mal, ça devrait pas lui fissurer l'ourlet à la droitiste qui piaule par terre comme si qu'elle était un seau d'eau remonté souffreuteusement du puit. Parce que même si présentement, elle lui refourgue une nausée idéologique de premier ordre, il a pas envie de lui faire mal. A cet instant, Rodéo ressent pour Jumelette un truc assez inattendu : pas de la haine – excédentique, Monique-, pas de la colère – trop d'énergie à dépenser pour le babos qu'il est, faut pas déconner -, pas d'amertume. Non. Il s'agit plutôt d'une sorte de tendresse. Pas n'importe laquelle. Celle que les colons avaient quand ils sont allés donner de l'alcool et de la grippe à gogo aux indiens d'Amérique. De la tendresse qu'existe seulement parce qu'elle porte en elle une promesse de transmutation, de "tu-vas-pas-rester-comme-t'es-hérésie-psychique-de-mon-paysage-intérieur-qui-ressemble-à-une-pièce-aveugle". Oh et pis merde, lâchons-le clairement : une promesse de rédemption. Ouais, il veut l'évangéliser, la petite nymphette à mocassins, et lui faire sortir le démon politique par n'importe quel orifice (tant qu'il sort, il va pas chipotailler du conduit). Alors d'une main, il attrape Le Capital, de Marx, hein, pas de M6, et de l'autre, il se met à la fourrager avec régularité avec la sino-verge à peau de tupperware. Le geste est mécanique et la voix, liturgique. Son débit éraillé de manifestant invertébré déclame un chapitre au hasard du bouquin qu'il révère comme son premier orgasme prostatique. Il se donne, il est généreux, tout entier porté par la sensation aigue de faire le Bien, de répandre un peu de lumière sur la forêt noire de l'imbécilité ; à plein bras, il ferraille, il anguille, il entube, il emboîte, en-puzzle, enfile, rempote, ramone...jusqu'au cri, râle philosophal s'il en est : Jumelette a joui.

- Alors, heureuse ? lui lance-t-il avec un air tarte comme y'a que les puceaux et les mecs qu'enbananent madame tout en s'admirant l'arrière-boutique dans un miroir XXL qui l'ont.

- T'emballe pas ; j'en avais ma claque alors, j'ai simulé.

- Tu as quoâââ ? grenouille-t-il tant bien que mal.

- J'ai simulé. Tu sais, comme les droits CAF.

- Simulation Câââââf ?

- Bah ouais. Pour voir à combien t'as droit en termes d'aide. Enfin, d'aide...on parle plutôt d'argent de poche qu'on donne aux immigrés pour qu'ils puissent s'acheter des écrans TV géants. C'est révoltant.

- Ton truc de CAF là, c'est salement kafkaien.

- Si tu le dis. En plus, t'es même pas assez pauvre pour pouvoir t'offrir un écran géant. Tu veux un remontant ?

Et là Jumelette sort de son soutif un petit sachet transparent. Dedans, quelques pilules et un joint mal roulé. Elle en gobe une, et lui tend une autre. Ereinté, surtout déboussolé, il la pose sans réfléchir sur sa langue. Tous les deux, encore pathétiquement déculottés, se couchent sur le lino dégueu de l'appartement. Ils attendent. L'éléphant rose. Ou Mélenchon qui s'agiterait les miches en string de cuir sur une chanson de Maître Gims.

Suite au prochain épisode...


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À propos de l'auteur(e) :

Alexandra Lucchesi

En 2006 et après des études littéraires, Alexandra Lucchesi participe à la création de la compagnie de théâtre l'Oiseau Monde au sein de laquelle elle met en scène  ses propres textes. En parallèle, elle poursuit ses explorations protéiformes en écrivant des contes, des chansons, des romans. Son univers, architecturé autour d'une langue gourmande et poétique, se veut être toujours au service de la vie, sa foulée, son relief teinté d'ombre et de lumière.


Auteure et metteur en scène

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