RODEO ET JUMELETTE

Publié le 18/06/2021 à 08:57 | Écrit par Alexandra Lucchesi | Temps de lecture : 03m22s

Feuilleton à l'eau de rose où il sera question d'hyperlaxisme social et de fistule idéologique

Episode 6 : précédemment publié dans le numéro 13 de juin, toujours diso en version papier à Fleur de sel, à Dole.

Point de vue cyclopéen du voisin facho derrière sa porte

Salutations. C'est moi, le voisin. Le voisin du gaucho. J'ai vu. J'ai tout vu. Quand ils ont monté l'escalier. Lui et sa jument à mocassins. Avant de les voir par le troufion de la porte, j'ai failli appeler les flics. Parce que je me suis dit, qu'à cette heure, ça pouvait être que des gens comme qui dirait pas bien. Des dealers casquetteux, ou pire, des gitans. J'les voyais déjà en train de barbeuker du hérisson dans ma cage d'escalier, ces salopiauds d'caravaneux qui pensent qu'à dégommer nos bouches d'incendie pour se désencroûter la raie de bon matin. Donc j'avais dégainé le smartphone, en mode voisin vigilant. C'est une mission civique, ça. De zieuter les alentours. Peuvent pas être partout, les flics ; faut bien qu'y en ait des comme moi pour leur filer un coup de patte de temps en temps. Moi, j'aurais de repos que quand y z'auront mis des tas de caméras partout. Des caméras, ou des vaccins, tiens. Parce que paraît que le vaccin-au-Covid, il va nous ficher. Plus sûrement qu'au commissariat. Nous implanter des trucs dans le sang et tout le tralala corporel. C'est pas moi qui l'a dit, c'est un scientifique à Youtube. Moi, je dis qu'c'est pas trop tôt. Comme ça, on verra qui qu'est français ou pas français. La vérité, on l'aura toute crue au bout de l'aiguille. Et là, ça va charterisé à bloc. Des convois entiers qu'on va pouvoir renvoyer au pays. Merci qui ? Merci la pandémie ! Donc, comme je baragouinais plus tôt, le crasseux est rentré avec une gonzesse. Je les ai observés. Les deux. Lui, nonchalant, marchant comme un chameau beurré ; insupportable. Elle, princessique, avec ses chaussures lustrées qu'on aurait dit que c'était le sabre à Dark Vador tellement elles faisaient d'la lumière sous les néons du couloir. Je me suis dit qu'ils étaient vachement mal assortis. Elle, il lui faudrait un type sérieux. Qui se met de l'after-shave tous les matins et qui change de caisse tous les deux ans. C'est important. Pas un des ces mecs caoutchouteux qui refont le monde sur leur canapé dégueulasse qu'ils aiment parce qu'ils l'ont chiné, tu comprends, un dimanche après un brunch végétarien avec leur couple d'amis pédales attitré. Je sais pas ce qu'il lui a dit pour la convaincre de le suivre. Remarquez, il l'a peut-être menacée. Ce serait terrible. Ou alors, et je préfère cette option, elle avait envie d'utiliser ses waters. Ça se pourrait car, maintenant que j'y pense, elle allait bon train, la bourgeoise, un peu comme si qu'elle avait bu dans une flaque d'eau au Burkina Faso et que ça lui faisait sonner le clairon dans les tuyaux. En tous cas, il a ben de la chance que ce soye été avec elle qu'il était, parce qu'avec une autre, plus bronzée, ben j'aurais appelé les flics pour tapage nocturne. Là, j'ai eu confiance. Tout de suite. C'est l'effet chemisier. Tu vois bien qu'avec son col claudine, la fille va pas te causer d'soucis. C'est de la bonne graine de femelle, ça, qui se tient bien, qu'a de la classe, du savoir-vivre comme dirait l'autre. Moi, de la savoir là-haut, en train de se faire chahuter l'artillerie, ça m'colle les nerfs. Il la mérite pas, ce con. Alors, de penser à tout ça, ça m'empêche de dormir. J'ai pris mes cachets, comme le docteur il a dit, mais ça veut pas fonctionner son bordel. Je crois que j'fermerai l'oeil quand elle redescendra. Je veux le voir. Ouais. Son attirail de femme défaite. Le chemisier dérangé, les cheveux pas mis comme y z'étaient, le collant qui dépasse du sac à main comme une peau de serpent accrochée là. C'est beau, ça, c'est de l'art, une femme – une femme bien de chez nous, faut pas déconner – qui s'radine chez elle après avoir été prise comme elle voulait être prise. Y'a quelque chose qui lâche en elle. Un truc qui la tenait et qui la tient plus, et cette chose-là, qui la fait marcher comme quand elle marche quand elle sait même plus d'où elle vient, ben, y'a pas à tortiller, c'est beau comme du boulot de grand peintre. J'l'aurais bien tartiné de couleurs, moi, la petite. J"aurais fait mieux. Salaud. Salaud de gaucho ! Mériterait que Macron se rp'aie un tour d'manège présidentiel pour sa peine, tiens.

Suite au prochain épisode...




À propos de l'auteur(e) :

Alexandra Lucchesi

En 2006 et après des études littéraires, Alexandra Lucchesi participe à la création de la compagnie de théâtre l'Oiseau Monde au sein de laquelle elle met en scène  ses propres textes. En parallèle, elle poursuit ses explorations protéiformes en écrivant des contes, des chansons, des romans. Son univers, architecturé autour d'une langue gourmande et poétique, se veut être toujours au service de la vie, sa foulée, son relief teinté d'ombre et de lumière.


Auteure et metteur en scène

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