Evocation d'un disquaire au centre de Dole
Simple anachronisme ou signe des temps ?
Nul besoin de convoquer la langue des oiseaux pour savoir ce que l’ouverture d’un disquaire représente ou alors éventuellement pour vérifier si le compte y est. Et des oiseaux en tout genre j'en ai vu pléthore entrer et sortir de cette boutique _ oui, rassure-toi cela prend du temps mais il est possible d’en ressortir _ rarement sans emporter un peu de ce précieux oxygène.
Avant l’arrivé des radios libres, au sortir des Yéyés dans les années 70 c’est la presse libre et des réseaux de salles indépendantes qui ont permis l’émergence dans l’hexagone de groupes comme Gong et Magma. La contre-culture sans réseau de diffusion n'existe pas. Internet qui fut un temps une terre promise pour celles et ceux qui rêvaient de partage libre, ressemble plus désormais à une version mutante de la rue des lanternes rouges... Bandcamp ayant démocratisé le « donne ce que tu veux zéro inclus », l'amour libre est devenu rare.
Le psychologue qui me suit cherchant à soigner mes états d'âmes _ il se trouve que je me sens un peu désespéré de créer dans un monde où seule les marchandises semblent compter_ m'a fait remarquer pour témoigner de l'amorce d'un changement, qu'il avait vu un reportage sur des personnes expérimentant de nouveaux modes de vie plus humains. Ma réponse désillusionnée n'a pas tardé à fuser : - Le problème me parait similaire à celui du végétarisme, certains artistes conscients de leur rôle de modèle ou simplement à la recherche d’un accord entre les paroles et les actes, on choisit d'opter pour une alimentation sans viande. Leurs fans ont voulu les imiter, sauf que certains n’ont reproduit que la forme et en on fait un dogme. Pour qu'un changement réel s'amorce dans le monde, il me semble nécessaire pour chacun que sa source provienne de sa propre expérience de la vie. D’une véritable évolution intérieure et non de la recherche d’une reconnaissance sociale, de l’appartenance à une communauté ou d’une « conscientisation » extérieure.
Revenons-en à Opus, ce nouveau disquaire dolois qui a ouvert courant décembre. Je me trompe peut-être car je préfère le relief de ma mémoire à l'exactitude d'une page Wikipédia. Les habitants qui voulaient pénétrer dans sa caverne aux trésors ont dû apprendre à venir durant ses horaires d'ouverture. Du mercredi au samedi, uniquement les après-midi de 14 h à 19 h et c'est un premier point qui compte en direction d'un certaine humanité, sous forme d'égalité, pas de client roi, juste un passionné qui rend service à d'autres passionnés, enfin c'est comme ça que je le vois.
Je n'ai pas connu la boutique de Daloz, seulement Discn'ko et Vibration et je ne me rappelle plus du nom de celle qu'un ami a ouvert autour des années 2000 à quelques pas du 27 de la Grande-Rue où se situe Opus. Je suppose que je dois être un peu mélomane pour que l’arrivée à point nommé de ce symbole me touche autant. À l'heure où les médiathèques sont réservées aux soutiens du régime, qu'ils en soient conscients ou non, que Dole retrouve un accès presque libre à la musique, c'est un grand bonheur que je me devais de partager avec toi. Pourquoi presque libre ? Parce que comme ailleurs on est forcés quand même de cacher nos sourires sous un masque. Sauf que sous la bouteille de gel hydro-alcoolique il y a le vinyle de « l'hymne à l'amour », qui sert d'illustration pour cet article. Le genre de détail subtil qui témoigne d’une certaine sensibilité et fait d’Opus un lieu singulier.
Signe des temps, alors que tout le GAFAM s’ingénie à anticiper nos besoins, avec l'aide des fées artificielles, à deviner ce que nous souhaitons avant même que nous le sachions. Quel plaisir incomparable que de se retrouver à une échelle locale devant un de ces vieux bacs où il n'y a pas tout, mais surtout ce que l'on n’attend pas. C'est un peu d'inédit dans nos vies. Et c'est je crois ce que l'on retrouve dans de plus en plus d’articles sur le besoin de rêver, cette volonté de sortir du tout contrôle. Quand je venais de terminer les notes de l'album « Oneiric Sound » d’ A Symbiotic Experience qui vont dans ce sens là, je suis tombé sur cet article de Reporterre « Avec la pandémie, prenons nos rêves au sérieux » et celui-ci « Rêver : Machines sauvages » sur Lundi.AM. Réenchanter la vie, se construire un imaginaire, c'est se révolter et lutter contre l'hégémonie de la culture consumériste « Mainstream », c'est participer à faire renaître une culture « Underground » issue de la pratique, dont la fonction n’est pas économique mais sociale.
Anachronisme aussi, pouvoir mettre à bas le joug de l'instantané, briser le bocal où chaque tour est un jour. Où la culture est jetable : à peine consommée déjà oubliée. Sur les murs des réseaux asociaux l’affichage éphémère et identitaire est réalisé par les volontaires à la servitude publicitaire. La modernité chantre de l’obsolescence programmée fait sonner ses trompettes pour célébrer le vin nouveau, tandis qu’on idolâtre sans les boire les grands crus qui occupent les niches du temple. Bien sûr il y a les collectionneurs qui s'arrachent les reliques de leurs saints. Mais sans doute d'autres comme moi, souhaitent avant tout préserver ces musiques de l’oubli, alors ils laissent le lapin lièvre qui leur tient compagnie grignoter les pochettes des disques, parce que ce qui compte avant tout c'est cette musique qui nous fait vibrer et qui suscite en nous l'envie de s'affranchir de la procuration. Le désir de jouer nos propres airs et de venir les déposer chez un disquaire. C'est ainsi qu'après avoir guetté fébrilement son ouverture, j'ai rencontré François qui m'a expliqué qu'il avait fait le choix de ne pas prendre de marge pour la musique locale. Et comme nos K7 sont vendues à prix libre c'est bien plus simple. Donc plutôt que de télécharger gratuitement nos albums sur internet si tu veux te convaincre que tu ne rêves pas, tu peux venir chercher les cassettes audio artisanales du label Head Handmade Tapes et celles de Britney25 Production à OPUS et aussi à la boutique du MojoLab Guitar au 8 Rue de la Bière, où JB à aussi fait le choix de promouvoir la culture locale depuis plusieurs années déjà. Car n'en déplaise aux adorateurs de la pyramide de Maslow, qui biaisent ses recherches en donnant trop d’importance aux besoins physiologiques et en occultant le dépassement de soi, comme l'a si bien dit Friedrich Nietzsche "La vie sans musique est tout simplement une erreur..."
Robot Meyrat, le 30 janvier 2022. Foucherans.
À propos de l'auteur(e) :
Robot Meyrat
Éternel débutant, Chercheur de singularités, Créateur de chimères, Expérimentateur d’inédits. Inscrit dès la naissance à l’école de la Vie. Il m’arrive d’être drôle à mon insu. Je suis mon chemin. Résister au courant principal jusqu’à la Mort et au-delà.
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