Mode sombre

Ça fait un sacré bout de temps que je ne me suis pas foutu derrière mon clavier. La raison n'est pas un manque de motivation car il y avait tellement de choses à écrire mais j'ai dû prendre un peu de recul. Me revoilà, en espérant que je sois plus régulier.

Durant ma pause imposée, mon petit-fils m’a invité chez lui. C'était pour un dimanche midi. J’ai pris une bouteille de blanc. Arrivé devant la porte, j’ai entendu des éclats de rire, j’ai sonné. Les bruits de pas se sont approchés de la porte. Tintement de clé s'entrechoquant, bruit du mécanisme de la serrure, puis la porte s’est ouverte. Devant moi, mon petit-fils Alexandre. Je ne vous le présente pas, vous vous connaissez. Il m’a embrassé et invité à entrer. J’ai vu la salle comble de jeunes de son âge. Ils ont une trentaine d'années. Moi, je vais sur mes 86. Qu’est-ce que je fous là ?! L'ambiance est cosy. Alex me présente à chacun de ses convives, puis, nous invite à prendre place. La table est dressée avec un prénom à chaque place. A ma gauche se trouve Lisa et à ma droite Jérôme. Tous deux sont d'anciens camarades de classe de mon petit-fils. 

Autour de la table, les discussions tournent autour des bébés des uns et des autres, des futures vacances, du dernier Nolan. Lors du repas, mon petit-fils dit à mes deux voisins que j'écris de temps à autre dans Libres Commères. Lisa tourne doucement la tête vers moi sans dire un mot. Jérôme, quant à lui, se tourne avec une certaine rapidité et me dit : «Vous savez, j'aime beaucoup les articles que rédigent les contributeurs. Les articles dénoncent mais ... » Il se réadosse à sa chaise un peu gêné. Le blanc dure quelques secondes, je brise le silence : «Il ne faut pas être gêné de dire les choses». Il frotte alors sa barbe de trois jours, puis débute ainsi:  « Quelques personnes de mon entourage trouvent que le mensuel peut être trop élitiste. Des articles sont rédigés de manière soutenue et cela en refroidit plus d'un. Pour ma part, c'est un style que j'apprécie. Ils peuvent être également un peu généraux sur la politique et pas assez sur la vie des gens». 

J'argumente sur ce qu'il a dit pour défendre le point de vue du canard. Il acquiesce! Je lui suggère également que sa venue serait la bienvenue à la rédaction! Je me tourne vers Lisa, la jeune femme à ma gauche, elle ne semble pas avoir de point de vue sur la question. 

Le repas a continué par des discutions diverses et variées. Arrivée au digestif, Lisa s’est levée, a remis ses cheveux derrière ses oreilles. Elle s’est penchée à ma hauteur, a déposé un papier près de ma fourchette et m’a dit : « C'est mon numéro, j'aurai des choses à vous dire. » Elle s’est redressée, puis a fait un signe de la main à toute l'assemblée et elle est partie. Alex l'accompagnait jusqu'à la porte. J’ai pris le papier et je l’ai mis dans ma poche. 

L'un des convives a proposé un karaoké. A ce moment-là, j’ai laissé la place aux jeunes. Je me suis avancé vers Alex et je l’ai averti que j'allais les laisser continuer la soirée. J’ai récupéré ma veste et il m’a accompagné jusqu'à la sortie. Il a pris la poignée et avant de la tourner, il m’a dit : « Qu'est ce qu'elle t'a dit, Lisa ? Elle t'a laissé son numéro ? » J’ai répondu par l’affirmative, elle avait des choses à me dire. Il a actionné la poignée et il m’a ouvert la porte. Je lui ai fait la bise en lui lâchant : « T’inquiète! Je ne vais pas te la piquer. » Et je suis parti sans me retourner.

Arrivé chez moi, j’ai repensé à ce que m'avait dit Jérôme. Le canard a de nouveaux contributeurs dont un dessinateur, un humoriste qui offre un nouveau style à la feuille de chou. Mais au niveau des lecteurs papier, ce n'est pas la même chose.

Côté rédaction, devrions-nous avoir une plume plus acerbe et moins soutenue? Sans craindre d'user, par moments, des termes qui pourraient «choquer». Ne pas y aller avec le dos de la cuillère ! Ne pas avoir peur de lâcher un « merde » dans les écrits ou de ne pas se limiter à du sous-entendu. Dénoncer les choses qui nous indigne. Dire ouvertement « je soutiens cette cause même si elle est à la limite de la légalité ». A quoi sert de pommader les chroniques pour ceux qui nous méprisent et qui nous nuisent ?

Et surtout, quel lecteur doit-on toucher ? Quel lecteur doit-on aller chercher ? De quelle manière les intéresser, leur donner envie de s'informer et de nous informer? Nous ne sommes pas des érudits. La force vient des contributeurs.

Doit-on parler de cette femme agressée par une bande d’extrême droite? Doit-on aussi évoqué le gazage intempestif commis par deux roussins ? Évidemment ! Car c'est le reflet de notre société. Malheureusement, ce ne sont pas les seuls sujets. Les langues doivent se délier. A votre manière ! Pas besoin d'utiliser des mots alambiqués. Non ! Comme Cobain le chantait si bien « Venez comme vous êtes ». Dommage que ce slogan ait été repris par une chaîne de resto capitaliste et destructrice.

Il est 1h00 du matin, je farfouille dans ma poche, je trouve le papier que Lisa m’a donné. Je compose son numéro, je lui écris ce message : « Bonjour Lisa, c'est le Baron Vingtras. Qu’as-tu à me raconter ?»


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À propos de l'auteur(e) :

Baron Vingtras

Bourguignon échoué en Franche-Comté, enivré par le militantisme de Gauche avec un gros G et passionné par l'Histoire.


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