Mode sombre

Article paru dans l'édition papier de février alors qu'on boucle l'édition de mars en fin de semaine. Sinon showman veut dire comédien-animateur et snowman bonhomme de neige. Voilà.

Emmanuel Macron passe très bien à la télévision. Il fait le show. Louis en a eu la confirmation lors de la conférence de presse, à l’Élysée, du 16 janvier dernier. La mise en scène était remarquable, une salle magnifique, le chef sur l’estrade, les ministres regroupés à sa droite, en contrebas, forcément, et les journalistes formant un parterre de spectateurs admiratifs et flattés d’en être. On s’attendait presque à ce que le Président finisse pas poser les pieds sur la table, tellement il paraissait à son aise dans ce décorum. Il répondait habilement aux questions, annonçait de belles mesures, esquissait des pistes d’action, bref, cela faisait vrai, on s’y croyait, on y croyait, c’était un beau spectacle.

Le problème est que ce n’est plus que cela, du spectacle, que l’on a le sentiment que la finalité de ce genre d’événement, c’est l’événement lui-même. On imagine bien Macron, sortant de scène, rejoignant son staff et demandant : « Alors, c’était bien ? J’étais bien ? ». On lui dira : « Oui, c’était parfait ». Il sera satisfait, le but était là, faire un show réussi, en donner pour leur argent aux téléspectateurs et se coucher avec le sentiment du devoir accompli. Plus personne n’est dupe, nous savons très bien que la politique conduite par la Macron Company n’est menée que pour servir les intérêts des puissants et de ceux qui profitent de leur puissance (ou qui espèrent en profiter), que la conférence de presse n’est pas destinée à s’adresser au peuple, à parler en son nom, puisque telle est l’essence de la démocratie et que lui n’en est, après tout, que le représentant, non, ce genre de représentation n’a de signification qu’en interne, pour ceux qui gravitent autour du pouvoir et ceux qui avancent leurs pions dans la sphère de ce pouvoir. Nous apprenions que le nouveau ministre des Affaires Étrangères est l’ancien compagnon du Premier ministre, que la ministre de l’Éducation Nationale est la cousine d’une lignée de journalistes bien connus, présents lors de la conférence, tous ces « happy few » se retrouvent lors de ces

événements comme on se retrouve entre initiés au vernissage d’une exposition ou lors de la sortie d’un roman chez l’éditeur. Tous ceux-là savent bien que ce n’est que du spectacle, du pipeau, du clinquant, pour impressionner le chaland et lui donner l’illusion qu’il fait partie de la fête.

Macron rythme le tempo de l’entre-soi médiatique, il y intervient à son gré, c’est un bon client, les chaînes de télés sont ravies. Pour diriger l’État, il nomme qui il veut, n’importe qui n’importe où, cela n’a aucune importance et il le sait. Le but, c’est de produire des images, les images dont le système a besoin pour alimenter la croyance en sa sempiternité. Macron parle de l’école, il dessine une image de l’école et tout le monde accole cette image à une réalité dont elle serait la copie : à l’école, on va faire du théâtre. L’école est donc bien un lieu où l’on s’épanouit, où tous les enfants s’émancipent, où l’innovation règne. Le smic a augmenté de 20 % depuis 2017, autre image, le smicard est plus riche, il est gagnant depuis 2017. L’immigré menace notre identité, vive la préférence nationale, l’image de La France éternelle avant tout le reste, y compris le respect de la dignité humaine. Ces images sont des leurres, elles sont fabriquées pour renvoyer à une réalité fictive, à une illusion, comme l’étaient les fresques murales dans les églises au Moyen-Âge qui exposaient aux fidèles la vérité du monde catholique. Ce n’est pas de la réalité que sont tirées ces images, ce sont les images qui valent pour réalité, qui font réalité. Rachida Dati devient l’image de la culture, pourquoi pas ?, puisqu’il n’y a pas de culture existant avant les images que l’on va fabriquer. Demain, elles s’évanouiront, d’autres les remplaceront, mais, au fond, rien n’aura changé, parce qu’elles sont émises et diffusées pour que rien ne change. Que rien ne change d’un système capitaliste dont la réalité, la seule qui demeure intangible, celle qu’il est impossible de transformer, celle dont il ne faut pas parler en conférence de presse, est la recherche du profit, quoi qu’il en coûte aux travailleurs, aux chômeurs, aux immigrés, aux retraités, aux vies de tous ceux qui n’ont aucun intérêt objectif à ce qu’un tel système perdure. Dans cette réalité-là, derrière les images bidon, l’école ne fait que reproduire ou accroître les inégalités sociales, le smicard, même à plus 20 %, survit à peine et l’immigré ne vient pas en France pour détruire la civilisation mais pour s’arracher à la misère. Ce socle-là du réel, Macron n’en parle pas, il n’en fait pas d’images, il le laisse aller sa course, folle et ravageuse.

Macron n’en dit rien et les journalistes ne lui posent pas de questions à ce sujet parce qu’ils ne veulent pas, eux non plus, que ce monde-là change, ils ne veulent pas ne plus faire partie du cercle des gens qui comptent, de ceux qui sont à l’écoute de leur temps, qui vivent de l’écoute de leur temps. Ils sont d’accord, ces gens-là, pour faire comme si le capitalisme était le seul moyen de construire un espace pour l’humanité, comme s’il était impossible ou fou d’envisager autre chose. Le capitalisme n’est pas une option parmi d’autres, il est La Réalité, la seule et l’unique, comme Dieu était, jadis, l’Être suprême, ce à partir de quoi penser et vivre étaient possibles. Les hommes et femmes du pouvoir ne peuvent penser hors de ce champ, le champ de leur domination, leur pensée est faite pour et par ce champ, en sortir est au-delà de leurs capacités intellectuelles (et de leurs intérêts !).

Le gouvernement annonce que le prix de l’électricité allait prendre 10 % dès le 1er février, ce qui fera une augmentation de 44 % en deux ans. « Mesure difficile, mais nécessaire » dit le ministre Le Maire. Nécessaire pour qui ? Son argument est de dire qu’il n’a pas eu le choix, si c’est nécessaire, c’est que l’on ne peut pas faire autrement. Nous ajouterons : Dans le monde qui est le sien. Dans ce monde où la fortune des cinq plus riches de la planète a augmenté de 50 % en trois ans de pandémie. La défense du capitalisme interdit-elle à Le Maire de faire le rapprochement entre ces chiffres et d’envisager une autre distribution de la richesse ? Dommage que personne n’ait eu l’idée, le 16 janvier, d’interroger Macron avec ces données. 

Vivement les cours de théâtre à l’école !


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À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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