Les dieux du stade
Jeudi 1er août 2024. Les Jeux Olympiques de Paris ont été brutalement interrompus il y a trois jours. Regard sur la folle semaine qui a plongé la France dans le chaos.
Depuis le 19 juillet, la rumeur de la faillite probable d’EDF se répandait à grande vitesse. Les principaux médias, tétanisés par le paroxysme quasi mystique précédant la cérémonie d’ouverture, avaient ignoré, ou peut-être caché, cette information qui pourrait bien attendre la fin de l’été. Quelques journaux allemands et anglo-saxons avaient timidement fait allusion à la situation délicate de l’opérateur d’énergie français et le dossier publié par le quotidien russe Izvesia n’avait semble-t-il été lu par personne. Du moins en France.
Mais, malgré les pressions de la DGSI, les sections d’entreprise de la CGT et de Solidaires avaient laissé fuiter l’information et la rumeur enflait de jour en jour.
De plus, rien ne s’était déroulé comme prévu pendant la cérémonie d’ouverture. Plusieurs bateaux à moteur électrique étaient tombés en panne, certains mêmes pendant la parade sur la Seine, et l’un deux avait pris feu juste avant de quitter son embarcadère. Dans la pagaille causée par la démission surprise de 1500 bénévoles le matin même de l’ouverture, l’incident des bateaux passa inaperçu. Les communiqués officiels du gouvernement et du CIO passaient sous silence la défection de ces bénévoles, en réalité mécontents de leurs conditions d’hébergement et des cafouillages de leur management, et le cabinet de Matignon tentait tant bien que mal de récupérer au pied levé des recrues du Service National Universel sans avoir imaginé que le changement d’uniforme serait le principal obstacle à cette idée pourtant validée par le président de la République.
Et puis il y avait eu l’apparition des drones. Plusieurs centaines de drones avaient soudain survolé les tribunes installées le long des rives de la Seine. Cela avait amusé les spectateurs heureux d’une rupture de la monotonie du spectacle aquatique, mais avait affolé les services de sécurité qui n’avaient à disposition que des Mirages et des Rafales dont le niveau d’alerte était au maximum. Certaines des nouvelles recrues de la police nationale avaient cru bon d’utiliser leur Sig-Sauer SP 2022 et firent de nombreux blessés parmi les spectateurs, fort heureusement loin de la tribune officielle où l’on ne s’aperçut de rien.
Le lendemain matin, il n’était plus possible de cacher que, lâchée par les financeurs de l’EPR de Hinkley Point, EDF était en situation de cessation de paiement et que les groupes industriels contactés par le gouvernement pour reprendre l’entreprise nationale par morceaux étaient presque tous aux abonnés absents. L’un après l’autre les sites arrêtaient leur production, les agents attendaient la position du gouvernement, et au lendemain d’une cérémonie d’ouverture somme toute réussie, il était difficile de trouver un ministre disponible. L’ONU, interpelée par l’Iran et la Russie, ordonna la constitution d’une commission chargée de veiller à la sécurité des centrales nucléaires françaises, soudain mises à l’arrêt, et désigna le Japon pour la diriger, en raison se son expérience en la matière. Certaines centrales solaires, éoliennes et hydroélectriques continuaient de produire mais pas suffisamment et il fallut fermer certains sites olympiques parfois pour la simple raison que les portails électriques bloqués ne permettaient plus d’y entrer.
C’est alors qu’un consortium emmené par un milliardaire indien annonça une OPA hostile sur le groupe ATOS. Pour mémoire, la croissance internationale du groupe avait été financée par d’importants concours bancaires dont certains s’étaient révélés impossibles à recouvrer. La vente par morceaux des filiales du groupe s’avérait d’autant plus compliquée que certaines d’entre elles hébergent les données de l’armée française, des centrales nucléaires, du ministère des finances, des réseaux de communication de la police nationale et les systèmes de réservation et de régulation de nombreuses compagnies de transport. Entre autres.
La cote d’ATOS fut suspendue, ses dirigeants s’éparpillèrent on ne sait où, et tout s’arrêta. La suite on la connait, les Etats-Unis demandèrent à la marine britannique d’évacuer leurs ressortissants par Calais dont le port était contrôlé par plusieurs corps de Marines parachutés en urgence ; les frontières de la France (hormis celle avec le Suisse) furent fermées ; le Niger et la Corée du Nord proposèrent leur aide mais ne reçurent aucune réponse…
Qu’on se rassure tout ceci n’est qu’une fiction sans aucune ambition prémonitoire. Mais…
Dans un article daté du 25 janvier 2024 et publié par Mediapart, Martine Orange analyse l’impossibilité pour EDF de mener à terme les chantiers des EPR à travers le monde, dont celui de Hinkley Point en Grande-Bretagne, ce qui devrait conduire soit à la privatisation par lots de la société nationale, soit à sa disparition pure et simple.
Le même Mediapart a consacré un gros dossier à la débâcle du groupe ATOS que sa fragile structure financière expose à une OPA d’envergure sans possibilité de protéger les données stratégiques qu’il héberge. La mégalomanie de ses dirigeants n’ayant d’égale que leur incompétence.
Le criminologue Alain Bauer qui fut conseiller de Manuel Valls estimait le 31 mai 2022 sur un plateau de France 5 qu’il sera totalement impossible d’assurer la sécurité de la cérémonie d’ouverture qui s’étalera sur 12 kilomètres le long de la Seine.
Il reste un peu plus de 5 mois avant que Paris ne soit “le centre du monde pendant deux semaines“ et eu égard aux débuts prometteurs de l’année 2024, attendons-nous à quelques surprises que les Libres Commères se feront un devoir de commenter.
Pour celles et ceux qui espèrent survivre après le 11 août, je recommande l’excellent “Éloge du carburateur“ de Matthew B. Crawford, et tout simplement pour le fun, plongez-vous dans le jubilatoire “En attendant le matin du grand soir“ de J.L. Dana qu’on peut encore trouver dans les boutiques de livres d’occasion.
Place aux dieux du stade et à la gloire de Pharaon.
À propos de l'auteur(e) :
Jean-Luc Becquaert
Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.
Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.
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