Humeur

Espèce de petit gond !

Publié le 08/09/2024 à 09:59 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 02m57s

Mon épouse, mon vieux frigo et moi-même avons récemment été les victimes d’une panne. Rien de bien grave mais la petite bite d’un gond qui pète, une porte qui se déboite et c’est le frais qui s’échappe, la canicule qui s’engouffre à l’intérieur, la sueur qui ruisselle sur les parois, le beurre qui rancit, les sauces qui se gâtent, les yaourts qui tournent, le jambon qui verdit, le steak haché qui se couvre de mouches, la porte ouverte à toutes les condensations, toutes les générations spontanées, toute la vermine tapie dans l’ombre. A chaque fois que ma femme veut prendre un truc au frais, faut que je me précipite pour jouer les gonds avec la seule force de mes petits bras. On n’imagine pas le nombre de fois qu’on peut ouvrir une porte de frigo dans une journée. C’est effarant. 

Sur Internet, l’étude comparée des nouveaux modèles de réfrigérateurs avec des congélateurs assez grands pour y entreposer une mamie entière et une demi-douzaine de nouveaux-nés nous laisse au bord de l’effondrement nerveux. On envisage déjà de fuir à l’étranger après avoir dynamité l’appartement. Aucun de mes nombreux tournevis ne correspond à ce putain de trous en étoile de la vis qui fixe le machin et que j’ai dû emporter le tout chez Monsieur Bricolage pour dévisser le bidule discrètement au rayon des outils avant de me rendre compte qu’il valait mieux l’acheter pour remonter le tout si je trouve ce qu’il faut. Et puis, je me rends sur un site de commande de pièces détachées pour électroménager et là, ô miracle, alors que notre frigo de marque L. a dépassé les quinze ans d’âge, je découvre avec surprise que le gond brisé est encore disponible pour une somme certes extravagante par rapport à ce que c’est mais minime au regard de la joie de pouvoir sauver ce bon vieux frigo de la casse sans oublier une économie financière conséquente. 

Devant l’urgence, je double le prix de la minuscule pièce pour la recevoir par Chronopost sous 24 heures et elle se présente effectivement à mon domicile dans les délais… sauf que moi, je n’y suis pas, là, chez moi, pour l’accueillir, ce gond de malheur. Je m’imaginais naïvement que le préposé des PTT malhonnête allait me glisser l’enveloppe dans la boite à lettres et gribouiller un petit graf bidon sur l’écran de son dynamomètre. Eh ben non! Il me laisse un papier pour me dire qu’il repassera le lendemain à la même heure et que sinon il me faudra patienter jusqu’au surlendemain. Impossible de récupérer le colis où que ce soit avant. C’est trop con. Je ronge mon frein, je passe une nuit blanche adossé à la porte du frigo pour ne pas qu’elle s’ouvre toute seule, à me demander s’il va falloir que j’appelle un ami pour m’aider, oui, mais lequel? Lequel est le plus qualifié en gonds de frigos? Ça court pas les rues un spécialiste de cet acabit. Finalement, l’aube me trouve en nage recroquevillé sur le sol de la cuisine et le préposé des PTT en pleurs sur le pas de ma porte. Je me retiens pour ne pas le serrer dans mes bras afin de lui signifier toute ma gratitude. En proie à une violente attaque de tachycardie, je mets de longues minutes à découvrir le petit gond perdu au fond de la grande enveloppe de plastique à bulles : ça m’a tout l’air d’être la même pièce et je répare l’engin sans aucune difficulté. 

En mon nom et en celui de mon épouse qui porte donc le même que moi, je tiens à sincèrement remercier la direction des réfrigérateurs L. et toute l’équipe technique pour ne pas nous avoir fait le coup des branches de lunettes obsolètes et des mises à jour impossibles sur un vieux Macintosh toujours vaillant. 




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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