L'état de droit, au conseil municipal, n'est-il déjà plus intangible ?
Arrivé avec 20 bonnes minutes d'avance, je descendis l'escalier qui mène au bas des gradins de la salle Edgar Faure. Un seul autre conseiller municipal était présent, assis lui aussi dans le coin de table réservé à l'opposition. Ce qui était surprenant, c'est que le public, lui, était déjà là en nombre. Pas autant que lors du conseil municipal qui précédait les élections législatives en juin, mais plus que d'habitude. J'échangeai avec le collègue présent : « Ils ont du affréter un bus, ou ils avaient une réunion de leur assoc'* juste avant… ».
Le reste du conseil municipal arrive peu à peu, et, contrairement à d'habitude, vient saluer individuellement chacun des 6 conseillers ne faisant pas partie de leur camaïeu allant du bleu horizon au bleu marine. On a bien senti qu'ils se la jouaient "sympatoches", pour le public. Pour nous, cette soudaine considération collégiale (quelques-uns disent bonjour quand même en temps normal) sonnait faux. Durant le conseil de juin, le maire s'en était pris à une collègue qui défendait le service public de santé, en expliquant que leur désaccord était une évidence, étant donné son appartenance au "parti communiste" dans une économie régie par le marché. L'attaque idéologique me paraissait décalée et surjouée, mais les rires dans la salle comble m'ont démontré qu'elle convenait au public de boomers aux convictions politiques forgées par les séries télé américaines du siècle dernier.
J'étais donc plutôt surpris du calme et de la pondération du maire quand j'ai évoqué le rapport d'orientation budgétaire, indigent par bien des aspects **. Il a du être surpris. Ce n'est pas sur cette partie-là que ses auteurs de cabinet avait du écrire. Ce devait être sur le sujet qui aura finalement été la tribune de la majorité dans le bulletin municipal de décembre, et c'est justement là dessus qu'une autre collègue a servi sur un plateau de quoi permettre au maire d'attaquer. Probablement lasse de répéter les mêmes arguments d'année en année, elle a tenté une provocation pour tenter d'ouvrir le débat.
La suite, les journaux l'ont relayés, souvent bien mal, mais il est vrai qu'employer une "phrase obus" qui nécessite d'avoir tout le contexte pour être comprise est un tir mal ajusté, dans l'arène du conseil municipal. Après la séance, la meute était lâchée. Un collègue s'est fait insulter de "connard" en remontant les marches pour sortir pour avoir osé partager son expérience personnelle sur le prétendu volontariat pour le travail du dimanche dans la grande distribution.
À aucun moment, le maire, qui dit pourtant aimer l'ordre, n'a pour autant utilisé son pouvoir de police pour calmer ses seconds couteaux et son fan club. Il faut bien que le public en ait pour l'argent de ses cotisations, c'est sûrement ça qui s'appelle avoir le sens de la fête
*L'assoc' c'est "Dole 2030", répertoriée comme association patronale en préfecture, ayant pour objet de soutenir le maire de Dole. 2030, c'est le montant en euro de la dette de la ville par électeur.
** Erreur de la municipalité en sa faveur
Le rapport d'orientation Budgétaire prétendait que la diminution de l'argent versé par l'Etat à la ville a diminué ses marges de manœuvre. 0.1 million de moins, c'est loin des 1.5 million d'euro d'épargne qui devrait être perdu en 1 an ! Sans ces versements de l'Etat, la ville ne pourrait même plus payer les annuités de sa dette (4 à 5 millions d'euros par an). Heureusement, après 6 ans de statu quo, le Grand Dole a décidé soudainement cette année de débourser plus de 3 millions d'euros (dont 2.3 millions rien que pour Dole) pour acheter des terrains qu'il avait encore 7 ans pour payer! Le hasard fait bien les choses, et la ville a un parc urbain à financer avant les élections de 2026. Et puis, le rapport comportait une erreur dans la capacité de désendettement de la ville (c'est le temps qu'il faudrait à la ville pour rembourser sa dette si elle arrêtait de contracter de nouveaux prêts et y consacrait toute son épargne). Le rapport présentait le chiffre de 7.5 ans, comme l'année dernière. Malgré mes questions en séance, le maire n'a jamais pu me contredire quand je lui ai dit qu'il y avait une erreur, que c'était 8.9 ans. Il n'a jamais voulu non plus confirmer ce chiffre presque 20% plus gros, et bien plus proche du seuil de vigilance de 10 ans. Mais ne jetez pas encore la pierre aux gestionnaires expérimentés que sont nos élus locaux, ils vont bien trouver un bouc émissaire.
À propos de l'auteur(e) :
Nicolas Gomet
Scientifique polyvalent et explorateur des institutions locales.