L'édito en forme de voeux
Édito de la version papier de décembre 2024 en version recyclée vœux 2025 : du grand art.
Vendredi 22 novembre, 19h00. Sur le toit, la neige n’a pas totalement fondu. Il fait froid. Il fait déjà nuit. Mais j’ai deux rendez-vous. Forcément dehors où justement il fait froid et déjà nuit.
Mon premier rendez-vous est rappeur. Un rappeur maraîcher. Quand il ne récolte pas les haricots qui lui niquent le dos, il écrit des textes sur ce qu’il vit dans les champs. Il colle des mots bien trouvés sur des sons bien ficelés et ça donne « L4-L5 », un album de rap agricole, authentique et sincère. Ce soir-là, JhëroLuz donne un concert, gratuit sans obligation d’achat, entre les bacs à disques de chez François (Opus), là où Libres Commères est en accès libre. La foule se fait attendre, on n’est même pas quinze à 20h00 mais JhëroLuz assure comme si on était 15000. Il parle de lui entre les morceaux dans lesquels déjà il se confie sans détours ni jérémiades. Authentique et sincère. Je l’ai invité à écrire pour le journal.
La soirée se poursuit au lycée Prévert. Festival des Solidarités, Requiem pour un Smartphone. On ne doit pas être tout à fait 50. Météo France a probablement annoncé l’apocalypse sur les départementales. Sur scène, Emmanuel Lambert est seul mais il incarne son texte avec une puissance telle qu’on en oublie l’éclairage cru, les accessoires tirés du sac, on est en Afrique, avec lui. Dans la lumière plein pot, il incarne ses quatre personnages sans chichis théâtreux. Il donne un souffle rageur et glaçant à sa trilogie (post)numérique.
Ça parle de l’extraction du coltan dans les mines de la RDC. Ah, je crois que je t’ai perdu, ami lecteur… pouf, pouf… Le colombo-tantalite qu’on appelle plus communément le coltan est un minerai composé de tantale (Ta) et de niobium (Nb), deux métaux indispensables à nos sociétés numériques du fait de leur présence irremplaçable dans les condensateurs miniaturisés des téléphones portables. Entre 60 et 80% des réserves mondiales de coltan gisent dans le sol du Congo où des milliers de mineurs, à tous les sens du terme, extraient le minerai dans des conditions inhumaines.
Le spectacle était gratuit mais on a pris cher. Emmanuel Lambert ne s’est pas économisé : il joue avec une intensité maximale quelque soit le nombre de spectateurs. Et puis, une fois le spectacle terminé, il redescend rapidement des hauteurs de son jeu pour discuter avec nous. Sincère et authentique.
Dommage qu’il n’y ait pas eu plus de monde pour ces deux rendez-vous riches et gratuits. On mettra ça sur le compte de la neige pas tout à fait fondue, du froid pas si intense que ça, de la nuit, de la fin de semaine, du mois de novembre, on mettra ça sur le compte de ces enfoirés de sénateurs qui veulent encore nous faire bosser gratis pour engraisser les actionnaires des EHPAD, on mettra ça sur le compte de Noël qui approche plus chargé de décorations qu’un général nord-coréen, on mettra ça sur le compte à régler. NOIR.
On est samedi matin. Il reste de la neige de jeudi sur le toit et un peu de nuit de vendredi accrochée aux tuiles. J’ai rendez-vous avec la banquière et avec ma femme. Disons plutôt que ma femme et moi avons rendez-vous avec la banque. A 10h00. Simple visite de courtoisie. Sincère et authentique. Nouveau bulletin d’imposition à enregistrer. Deux ou trois bricoles à mettre en ordre.
Elle a vraiment eu peur qu’on rate la date, la banquière. Un SMS et deux mails de rappel. Je me demande si la Caisse d’Épargne investit dans les mines du Congo comme elle le fait dans l’armement et l’extraction des hydrocarbures. Déjà que la banque a sponsorisé les JO de Paris sans me demander mon avis et qu’elle m’a collé un logo olympique et merdeux sur ma nouvelle carte de crédit qui a quand même le bon goût d’être rouge. La banquière nous parle d’assurance-vie, de PEL, de livret A, d’emprunt à taux 0 pour les travaux, de taux d’intérêt en baisse, le mien est déjà en veille. Bien sûr, je ne lui demande pas si notre banque sponsorise l’exploitation des mômes en Afrique centrale. Sincère et authentique.
L’autre jour, un de mes apprentis m’a traité d’escroc parce que je ne lui ai pas fait sauter une note qu’il jugeait trop moyenne. Un 14 sur 20 tout de même. Le mec ne doute de rien. Authentique ! Et sincère.
Je crois que c’est Philip Roth qui a écrit que son père lui avait conseillé de toujours accepter un poste même s’il se sentait incompétent pour l’occuper. Le temps que la direction s’en rende compte, il aurait appris. C’est ainsi que je suis devenu rédacteur en chef de Libres Commères. Par escroquerie. Sauf qu’à Libres Commères la direction, c’est vous. C’est ainsi que je rédige cet édito sincère et authentique mais sans queue ni tête comme l’année politique française qui s’est achevée dans le chaos.
Et je vous souhaite une bonne année 2025 authentique et sincère.
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PS : ah oui, ce que je voulais vous dire en fait, c’est que, comme pour JhëroLuz et Emmanuel Lambert, ce n’est pas le nombre que vous êtes à nous lire qui compte le plus (même si…), l’essentiel, c’est que nous restions… je vous laisse conclure.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.