Un clown est mort
28 décembre, une photo et juste une phrase sur le site du Prato : « Tristesse. Gilles est parti. »
Gilles, c’est Gilles Defacque, créateur du Prato à Lille en 1973, à la fois compagnie de clowns et lieu de spectacle, de création et de formation qui sera labellisé pôle national du cirque en 2011. « Théâtre international de quartier », comme il l’avait sous-titré, à la fois boutade en réponse à la création par le ministère de la culture des « théâtres nationaux de région », et proclamation d’un véritable engagement pour les quartiers populaires.
Gilles Defacque était un clown dans la tradition des chapiteaux et de la commedia dell’arte. Il était aussi pleinement un pilier du renouveau du cirque. Un pied dans la tradition, de Pierre Etaix, des Colombaioni, de Jango Edwards, de Slava, de Grock, d’Achille Zavatta… et l’autre dans l’aventure comme Gustave Parking, Mike Tiger, les Nouveaux Nez, Pic la Poule, Arsène Folazur, Colette Gomette & Anna de Lirium, Amédée Bricolo… Il savait être entièrement dans la tradition et entièrement dans la création.
Sur sa page Facebook, Baro d’evel, une des compagnies les plus emblématiques du cirque-théâtre-burlesque d’aujourd’hui, lui rend cet hommage : « Tu nous as aidés en poussant à donner de l’aisance au rire, donner de l’importance au rire, à prendre le rire comme quelque chose de très sérieux. Tu nous as appris à travailler avec rigueur et folie ! Ta générosité dans la transmission, dans l’accompagnement d’un grand nombre d’artistes, dans la lutte, dans le social, même dans l’échec, avec un rythme trépidant, a été digne d’une icône poétique, politique et nécessaire ! Un théâtre international de quartier où le burlesque comme tu aimais le nommer était au centre !
Tu nous as appris à porter, à tomber et à danser ! Et pour l’instant on le fait encore, on te porte en nous à présent ».
Car Gilles Defacque était aussi un pilier de l’éducation populaire. Titulaire d’un doctorat sur l’œuvre en prose d’André Breton, il n’a jamais cessé de former des comédiens dans les conservatoires, dans les associations de quartiers, dans les lieux oubliés des quartiers ou des campagnes. Reconnu des plus grands, à la portée des plus éloignés de la culture, anarchiste joyeux, Gilles le restera pour toujours.
2025 arrive. D’autres clowns, tristes et sans talent, nous entraînent vers un abîme qu’ils n’entrevoient même pas, aveuglés par leur corruption, leur fatuité et leur incompétence. Ils se sont échappés des délires de Stephen King et se croient adulés par un public qui n’existe déjà plus.
À l’heure où d’auto-proclamées élites, cachées derrière des masques sans vie d’élu.e.s républicain.e.s, continuent de scrupuleusement détruire l’éducation populaire et l’émancipation par la culture, à l’heure où des milliardaires englués de vulgarité transforment l’art et la beauté en objets de vaine spéculation, des clowns, vrais ceux-là, veulent encore, à l’instar de Charles Trenet, être des professeurs de bonheur.
Gilles est parti, mais on n’est pas prêts de l’oublier.
À propos de l'auteur(e) :
Jean-Luc Becquaert
Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.