Mission impossible
Le dernier (?) chapitre de la série des Mission Impossible (re)met en scène Ethan Hunt et ses associés pour un ultime coup de rein dans la guerre entre les bons et les méchants. Louis aima beaucoup le cinéma. Depuis quelque temps, il l’aime moins, en partie du fait de films comme celui-ci : pas de scénario, psychologie sommaire, beaucoup d’argent et trop de bruit. Pourtant, il fut d’abord troublé, puis amusé et enfin séduit par cet opus joué et produit par Tom Cruise. Il y trouva même les linéaments d’une réflexion philosophique sur notre temps.
Hegel comparait la philosophie à la chouette de Minerve qui s’envole à la nuit tombée, parce que la philosophie, elle aussi, ne prend son envol, c’est-à-dire ne comprend son temps selon le philosophe allemand, que lorsque que ce temps touche à sa fin et que l’on peut, à ce moment, en saisir enfin les mécanismes et les contradictions. C’est en ce sens que The Final Reckoning apparait à Louis comme la métaphore spectaculaire de notre époque.
Le film présente l’histoire d’une lutte entre les champions du Bien, les États-Unis, et une puissance hostile, l’Entité, sorte de méga IA devenue folle, qui cherche à détruire l’humanité, avec l’aide de champions du Mal. Rien de très nouveau dans le monde des super-héros d’Hollywood. Cependant, une formule revient plusieurs fois (le film dure 2 h 45) dans la bouche des Bons, ceux qui passent leur temps et risquent leur vie à défendre la population de la planète. Ils affirment qu’ils se battent pour leurs proches, comme tout le monde, mais aussi, et surtout, « pour tous ceux qu’ils ne connaissent pas », en gros, huit milliards de terriens. La dernière scène du film illustre ce mantra. On y voit les cinq protagonistes se croiser à Londres, à Trafalgar Square. Ils se lancent les uns aux autres des regards complices au milieu d’une multitude de gens qui ne savent pas ce qu’ils leur doivent, ni ce qu’ils ont fait pour eux, avant de replonger dans l’anonymat.
Pour sauver le monde, les membres de Mission Impossible se sont appuyés sur l’armée états-unienne qui leur a confié, il faut ce qu’il faut, un porte-avions et un sous-marin nucléaires. C’est à ce prix que le Bien triomphe. Une des thématiques du film est de révéler à quel point le destin des gens ordinaires – ceux qui n’ont à leur disposition, ni porte-avions, ni sous-marin – est fragile et hors de leur maîtrise. La foule de Trafalgar Square vaque à ses occupations, comme si de rien n’était, sans se douter qu’à tout moment, le monde peut s’écrouler et anéantir son existence.
Évidemment, le monde que Ethan Hunt/Tom Cruise sauve de la destruction est le monde capitaliste, organisé autour des États-Unis. Dans les Mission Impossible précédents, la menace était, plus ou moins explicitement, le communisme et ses avatars, puis, ce fut le terrorisme (islamiste), cette fois c’est l’IA, une menace auto-immune, puisqu’elle est générée par le capitalisme lui-même. La question finale est de savoir, non pas comment se débarrasser de l’IA, mais comment l’utiliser au service du Capital, en évitant les dangers que son déploiement illimité pourrait entraîner.
Marx disait que les idées dominantes d’une époque sont celles de la classe dominante. Louis est frappé par la manière dont le film illustre cette thèse : le capital pense qu’il n’a plus d’ennemis, sinon ceux qu’il fabrique lui-même, aveuglé par l’hybris de son développement. L’autre versant de la thèse est que le peuple n’a plus de rôle politique, il est un objet neutre, sans identité propre, une masse gouvernée par les élites, celles et ceux qui ont accès au pouvoir, à l’argent et à la force. Ceci n’est pas nouveau. Dans tous les épisodes de la série, le peuple, les gens comme vous et moi, ni bons, ni méchants, ne sont jamais représentés sur l’écran, sinon comme des figurants au milieu desquels Tom Cruise cavale, à pied, en voiture, à moto, etc. Dans The Final Reckoning, il est encore plus absent - si c’est possible - puisque l’action se passe sous mer ou dans une base isolée de l’Arctique. Cette absence est assumée par le scénario et cela montre quelle place le peuple occupe désormais dans la pratique politique et dans la représentation des dirigeants contemporains. La leçon du film est que, sur la scène de l’Histoire, il n’existe plus, que les finalités politiques relèvent exclusivement de rapports de puissance et que ce sont ceux qui ont les plus importantes capacités militaires qui dominent le monde.
L'idéologie dominante martèle que c’est mission impossible de penser autrement, de croire à une réelle souveraineté populaire ou à une émancipation politique par le soulèvement des opprimés.
Louis a entendu à la radio que, selon le décompte récent d’un institut de recherche suédois, il y aurait aujourd’hui davantage d’autocraties que de démocraties sur la planète et que les gouvernements autocratiques régneraient sur 70 % de la population mondiale. L’institut ne pouvait pas déterminer si les États-Unis, sous la coupe de Trump, étaient en voie d’autocratisation ou s’ils restaient une démocratie. La réponse serait-elle dans Mission Impossible ?

À propos de l'auteur(e) :
Stéphane Haslé
Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.