Y a comme un gros bug moral !

Publié le 11/04/2020 à 13:48 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 05m44s

En tant que prof, j’encourage les pompes : c’est le meilleur moyen d’en détourner les élèves. Parce qu’une pompe, entendez par là une antisèche, requiert un certain savoir-faire qui n’est pas donné au premier pékin venu. Il faut choisir l’information importante et la reproduire astucieusement dans une cache secrète mais facilement consultable. C’est tout un art, l’art de la pompe. Quand on le maitrise, on se rend compte qu’on sait sa leçon et qu’on n’en a plus besoin. Ne reste que l’angoisse de se faire prendre durant le contrôle. 

Il faut préciser que j’enseigne le français et qu’il n’y a pas de formule à apprendre par coeur dans ma matière. J’incite même mes apprentis à consulter leurs cours durant les devoirs sur table. D’un autre côté, le prof qui est assez con pour demander une formule toute faite en devoir ou en contrôle doit s’attendre à une réplique du même acabit. Et s’il pompe lui-même ses exos et ses sujets sur Internet sans y apporter sa petite touche personnelle, à quoi peut-il s’attendre en retour ?

Hier matin, je corrigeais des exercices que je propose à mes apprentis confinés. Ceux-ci ont une vingtaine d’années, les apprentis, pas les exercices. Ce sont des exercices de grammaire un peu tordus qui réclament une certaine mobilisation du vocabulaire. Comme nous sommes en télé-apprentissage, ils ont tout loisir d’utiliser le dictionnaire et de collaborer avec leurs collègues. C’est même conseillé d’autant que ces devoirs sont facultatifs et ne déboucheront que sur une note de participation, une note morale en quelque sorte.

Or, en parcourant les copies, j’ai remarqué de curieuses similitudes dans l’énormité de certaines réponses débiles. Au bout de la deuxième fois où tu lis que l’antonyme de partage, c’est avar, tu te dis que ça doit bugger quelque part. Etude comparative rapide et découverte du pot aux roses. Le numérique ouvre largement sa porte au copié-collé contre lequel je n’ai rien s’il se met au service de la sagacité (antonyme de lourdeur intellectuelle, d’esprit scolaire, d’académisme, mes ennemis professionnels).

Et là, on me prend pour une bille. Comme s’il n’y avait pas assez du gouvernement à le faire depuis presque trois ans. C’est d’autant plus idiot et regrettable que l’entrainement lexico-syntaxique que je propose est bien annoncé comme FACULTATIF en grosses lettres, ce qui même pour un cancre est bien le contraire d’obligatoire. Et là, ils étaient quatre à m’avoir rendu dans un temps record suspect un travail indigne de la confiance que je leur accordait. A cet excès de zèle déplacé, j’ai répondu par mail et en image.

 

 

Sur les quatre, seul un a choisi de se taire. Je pense que c’est lui qui a fait l’exercice pour les autres qui, eux, ont répondu avec un certain aplomb. Je ne vous livre qu’un seul des trois messages qui résume merveilleusement bien les deux autres : « Au sujet du télé-apprentissage je pense qu’il y un avantage conséquent, c’est le fait de pouvoir travailler à plusieurs. Je ne vois donc pas pourquoi nous n’en profiterons pas! » Je laisse volontairement les erreurs pour qu’on ne m’accuse pas de travestir les faits.

J’ai sobrement rétorqué.

 

 

Mes apprentis ne représentent pas la crème de la nation mais ils ne sont pas plus bête que d’autres. Ni moins moraux. Ceux-là sont sans doute ceux qui sont le plus à l’image de nos dirigeants. Ils prennent des initiatives alors que rien ne les oblige à s’emparer de responsabilités au-delà de leurs compétences. Dans notre cas, ce n’est qu’un exercice qui ne demandait pas non plus l’agrégation mais un minimum d’effort. Au lieu de ça, ils me bidonnent vite fait mal fait un travail sans valeur, pour mieux se déresponsabiliser une fois le subterfuge foireux débusqué et exposé au grand jour, sans hallali non plus. Pris sur le fait, ils nient et essayent de retourner leur faute morale à leur avantage. Je dis faute morale parce qu’il ne s’agit plus d’une simple série d’erreurs grossières mais d’une tentative de tromperie qui aurait dû se solder dès ma première remarque par un petit mot d’excuse de leur part. Mais non ! Seul un silence gêné pour le plus consciencieux, sans doute pris au piège d’un banal chantage entre camarades. Les autres assument leur forfait en prétendant que ça fait partie de l’exercice de recopier les erreurs d’un autre.

Macron est incompétent. Tous les intellectuels qui n’ont pas baissé leur froc devant l’autocratie en place le répètent, depuis belle lurette, de Franck Lepage à Christian Combaz, en passant par Michel Onfray et Emmanuel Todd. Et tous ceux qui gesticulent dans le sillage du président sont plus incompétents les uns que les autres. Une vraie compétition d’incapables. Une conjuration d’imbéciles dirait John Kennedy O’Toole. Mais ils refusent de l’admettre en démissionnant. Pire, ils se confinent dans leur erreur, refusent d’en sortir et trouillent sans doute à l’idée de s’exposer à la vindicte populaire qui les attend dès que les flics n’auront plus le droit de regard actuel sur nos déplacements et qu’on aura dézinguer deux ou trois drones.

Parce qu’ils ne sont pas idiots et qu’ils savent que j’ai raison, mes apprentis n’ont pas fait les cakes très longtemps : ils ont essayé de me gruger, je m’en suis aperçu, ils ont tenté de prétendre que leur tricherie était inhérente au télé-apprentissage, et donc de ma propre responsabilité, et puis ça s’est arrêté là.

Les ministres et tous les sbires de leurs administrations aux ordres, eux, s’obstinent à jouer les apprentis-sorciers. Ils ont été pris en flagrant délit d’incompétence à plus d’une reprise et ils continuent à prétendre qu’ils ont raison de faire ce qu’ils font. 

Le système hospitalier est en passe de surmonter la crise sanitaire et certains technocrates annoncent déjà qu’on va poursuivre l’oeuvre du Copermo, le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins. Tu parles d’un nom ! A Nancy, c’était un peu gros. On a fait sauter Lannelongue, le directeur de l’ARS (agence régionale de santé), qui reste malgré tout dans les services jusqu’à la prochaine fois et il est remplacé par Marie-Ange Desailly-Chanson, une collaboratrice de Jérôme Salomon, le directeur général de Santé Publique France, qui gère très médiatiquement la crise après l’avoir mal, voire carrément pas anticipée. La technocratie hospitalière fait donc un travail d’équipe, comme mes apprentis, mais l’intelligence collective ne fonctionne qu’au pluriel lorsqu’elle se met au service du bien commun. Quand il s’agit de spolier le peuple ou de saloper le travail, la pensée unique du profit suffit.

Mes quatre apprentis vont obtenir leur BTS au rabais cette année, feront pour trois d’entre eux de parfaits opérateurs du système macronard et reproduiront les mêmes erreurs que leurs chefs. En tant que formateur, j’ai échoué avec cette poignée-là. Mais je n’étais pas non plus en charge de leur éducation morale. Même si j’ai parfois essayé. Mais en vain cette fois-ci. D'autres jeunes arrivent et je recommencerai à enseigner ce que je crois juste.

Je me demande qui s’est chargé de la formation déontologique des membres du Copermo. Je me demande si Macron s’est jamais intéressé à l’éthique, si Ndiaye sait ce que c’est et si Castaner pourrait écrire le mot sans se tromper.




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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