Manifester dans les clous
Au vu du décret sur le déconfinement : « Tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République. Sauf dans les transports », on se creuse la tête pour manifester légalement dans les jours prochains. Les syndicats vont se retrouver coincés entre responsabilité sanitaire et manie baladeuse : l’effet de masse pourtant primordial dans une manif n’est semble-t-il pas à l’ordre du jour, à moins de défiler comme des majorettes, bras tendus, au pas cadencé. Les Gilets jaunes vont eux aussi avoir à se renouveler : mettra-t-on des gants jaunes et des masques assortis ? Va-t-on vers le port de la charlotte obligatoire ? Les soignants sortiront-ils directement de l’hôpital sans se changer pour aller se faire gazer par les CRS qui n’ont pas tiré une cartouche depuis deux mois ?
Les autorités vont avoir beau jeu de tirer sur la corde ô combien sensible de la responsabilité individuelle et collective envers les plus fragiles d’entre nous. Les dignitaires du régime ont brillé sur le sujet depuis le début de l’épidémie et ils vont brandir l’argument dès qu’ils verront que ça tourne mal. Il va donc falloir ruser, arrêter d’applaudir à 20h00 devant son écran de télé, de faire des selfies avec son micro-panneau barbouillé au bic vert dans son canapé pour aller s’exposer pour de vrai dans la rue.
Euh… du calme, ami tagueur ! Je te rappelle que le bombage des murs de ta cité pasteurisé est passible d’une amende et que les caméras vidéo de ta municipalité te surveillent : pour une fois qu’elles pourront choper autre chose qu’un violeur de vélos ou un badaud ivre qui pisse dans le port d’Amsterdam. A Dole, nos copines féministes avaient fait une petite campagne d’affichage sympathique même si c’était pas tout à fait autoris… disons… bon, toutes les initiatives en extérieur sont bonnes. Ne vous faites pas prendre la bombe à la main, c’est tout ! Et ne dites pas que je ne vous ai pas demandé de ne pas le faire !
A Dole toujours, on est un certain nombre à avoir renoué depuis 2017 avec la technique de l’homme-sandwich. Nos proto-colporteurs sont même devenus des curiosités locales. Pour avoir moi-même pratiqué la déambulation en solo avec pancartes devant-derrière, je sais qu’il faut un peu de témérité pour se lancer en bas de chez soi dans l’affichage déambulatoire de ses opinions sociales et politiques. C’est un peu comme prendre le micro en public. On sent la pression du regard des autres. On craint le ridicule comme lorsqu’on va se baigner sous les yeux de la plage avec le maillot qui remonte entre les fesses. On appréhende le jugement pas toujours favorable de monsieur et madame Jesaistout. Mais il ne faut pas non plus se cacher qu’on est un peu là pour faire de la provoc’, réveiller les consciences, échauder les tièdes et emmerder les bourgeois bien pensants. Alors y aller à deux ou trois, c’est une bonne idée, moins de dix de toutes façons !
Pensez à tester vos inscriptions avant de les peindre sur de grands cartons. Des formules chocs en grosses lettres ! N’hésitez pas à faire dans le look trash et la dérision. Ma dernière prestation avait pas mal cartonné (c'est très vraisemblablement la véritable raison qui a poussé le gouvernement à confiner tout le monde) sur Youtube car bien sûr, vous aurez emmené avec vous votre service de presse pour relayer l’évènement sur les réseaux sociaux. Je ne vous fais pas un tuto pour vous indiquer où faire les trous pour passer les ficelles. Perso, je me suis équipé de pinces à dessins et de lacets. Ça, c’est pour le kit mains libres ! Mais vous pouvez aussi brandir votre pancarte à bout de bras au-dessus de votre tête en tournant doucement sur vous même pour que les gens bénéficient du recto-verso, ce qui donne du suspense à votre message tout en nécessitant un chouia de réflexion créative supplémentaire.
J’ai eu l’idée de me promener en scaphandre avec un panneau ON A TOUCHÉ LE FOND (recto) SORTONS-NOUS LA TÊTE DU CUL (verso) ou plus soft BAS LES MASQUES / HAUT LES MAINS. Mais je me tâte encore et à force de me tripoter, je vais bien trouver un truc d’ici à ce que je sorte.
Question timing, l’idée, c’est… n’importe quand ! Les opérations commandos de ce genre se font au grand jour dans les centres-villes. Les supermarchés ont tendance à envoyer leurs vigiles car il semblerait que leurs parkings soient terrain privé. On peut aussi se placer au bord d’une route assez fréquentée ou sur un ilot au milieu d’une artère (celui de la place Grévy, toujours à Dole, est parfait). Je ne parle pas de ronds-points : ils sauront bien ce qu’ils ont à faire tout seuls.
Les séances n’ont pas besoin de durer longtemps. Si le vent se lève, remballez le matériel et revenez quand le temps sera plus calme. Il s’agit de déclencher une tempête populaire, pas d’être emporté par une bourrasque.
La force du nombre va faire son effet un de ces jours. Pour l’instant, on peut juste se contenter de passer un par un pour rajouter une allumette sous la cocotte-minute.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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