Un diplôme, petit père noël.
Pour Noël, je me suis offert une réorientation. Au revoir licence de Sciences de l’éducation, bonjour école d’éducatrice spécialisée! Les débouchés sont très différents, mais je dois les prémices de ma réflexion à l’esprit général ressenti sur les bancs de l’amphi. Le problème, ce n’est pas la théorie, c’est quand elle devient prédominante, déconnectée de toutes réalités: hors-sol. Et quand l’éducation et le social sont des domaines qui vous parlent, et bien ça ne vous parle plus.
Il existe un malaise social non-dit quant à de nombreuses filières universitaires, où l’on déverse un intellectualisme tiède, occultant alors tout le reste: la réalité qui n’attend personne, les gens, leur vie. En sortent des étudiants paumés, décontenancés par les communs, et dont le jargon universitaire ne colle étrangement pas au réel. Et, pour le paradoxe, laissons Aristote l’expliquer: le manque d’expérience diminue notre capacité d’adopter une vue d’ensemble des faits communément admis. Ceux que leur engouement pour les discussions abstraites a rendus incapables d’observer les faits correctement sont excessivement enclins à dogmatiser sur la base d’une poignée d’observations.
L’attrait de nos sociétés occidentales pour l’intellect, face aux moues embarrassées quand on discute savoirs-faire manuels et pragmatisme, ne surprend plus personne. Il suffit de se rappeler les mots qu’avaient à la bouche nos conseillères d’orientation au lycée.
Les voies professionnalisantes et technologiques seraient donc synonymes d’immobilisme, quand l’université, -le supérieur en général- serait garant d’ouverture. Mais l’ouverture à quoi?
Au marché du travail?, certes. Le taux de chômage des “sans diplômes” s’élève à 17%, celui des titulaires du bac, d’un CAP ou d’un BEP à 10%, enfin celui des bacs+2 ou plus à 5,2%. Mais ce faible taux de chômage masque une baisse générale du niveau de revenu des jeunes diplômés: “en 2016, les jeunes salariés sortis depuis 1 à 4 ans de formation initiale perçoivent un salaire médian mensuel de 1390 euros contre 1730 euros pour les salariés ayant terminé leurs études depuis plus de dix ans. “( source Insee) D’autant plus que cette tendance s’accompagne d’une détérioration de la nature du travail, profondément révélatrice et alarmante.
La valeur qualitative et professionnelle des diplômes ne rencontre plus autant d’échos sur le marché du travail: les métiers sont atomisés, la division du travail exacerbée. En cause, le capitalisme néo-libéral et ses impulsions managériales qui gangrènent jusqu’aux métiers les plus humains, comme le milieu médico-social. Frederic Taylor, promoteur de l’organisation scientifique du travail (taylorisme) et du management, écrit en 1915: “ les managers assument le fardeau de collecter tout le savoir traditionnel accumulé tout au long du passé par les travailleurs et de classifier, tabuler ce savoir et de le réduire à des règles, des lois, des formules.” En gros, la séparation entre les fonctions directives/planificatrices et exécutrices s’est institutionnalisée, et tend à s’accroître. “Ce processus remplace ce qui était hier une activité intégrale, enracinée dans la tradition et l’expérience du métier, animée par l’intentionnalité du travailleur.” explique Matthew B. Crawford, dans Eloge du carburateur. Du coup, il est bien beau ton master, mais polyvalence et flexibilité, ça te parle?
En parallèle, la délocalisation menace aussi l’embauche des jeunes diplômés, comme des non-diplômés: réduire le travail à une série d’actions machinales permet d’embaucher une main d'œuvre étrangère moins qualifiée, et donc, plus rentable.
Ce que le management célèbre, ce sont les potentialités, les aptitudes, les capacités d’adaptation, en bref, un état d’esprit compatible à ses objectifs de profits. D’ailleurs, l’université de Bourgogne Franche-Comté m’offre une bonne occasion d’illustrer cela: elle a récemment mis en place un dispositif qui, selon notre investissement dans notre travail universitaire, nous fera obtenir des “badges numériques”. Cette idée nous vient tout droit des écoles universitaires de management, notamment celle de L’IAE de Caen (Institut d’Administration des Entreprises) , selon qui ces badges vont aider à “ mettre en lumière les compétences douces et l’implication des étudiants.” Ne me demandez pas ce que veut dire “compétences douces”, encore un concept américain sûrement. Ces badges, allant de “ persévérant dans mon travail” à “mémorisation efficace”, ( si, si ) et j’en passe, figureront sur nos CV. Et c’est là l’éclair de génie, puisque, comme l’IAE de Caen l’explique si bien: “ ces badges vont enfin rendre visibles un savoir-être particulièrement recherché par les recruteurs.”
Ah, qu’il est beau l’enseignement supérieur!
Margot B.
À propos de l'auteur(e) :
Margot Barthélémy
Biographie en cours de rédaction.
Flâneuse dilettante
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