Mode sombre

Cet article est initialement paru dans la version papier d'octobre, toujours disponible à la Fleur de sel à Dole.

Quand elle ne lit pas Libres Commères, Elisabeth Griffon est assistante sociale hospitalière notamment en EHPAD. Elle est suspendue depuis le 15 septembre, suspendue pour… Revenons-en au début de l’affaire. Comme tout le monde, Elisabeth découvre par les médias au cours de l’été qu’il va falloir qu’elle se fasse vacciner contre le Covid-19. Elle est assimilée au personnel soignant et comme telle, elle est sommée de présenter un schéma vaccinal complet le 15 septembre. Elle reçoit en effet le 11 août par courrier une circulaire lui précisant cette obligation. Les tests ne suffiront plus: la seringue se profile. Le 16 septembre, elle devra être piquée. 

Le jeudi 9 septembre, elle passe son entretien annuel d’évaluation avec la directrice-adjointe du Centre Hospitalier Intercommunal du Pays du Revermont: 662 employés sur sept sites. Arbois, Poligny, Salins, Sellières. Services de soins de suite, un centre de rééducation et des EHPAD. Tout se passe comme si Elisabeth allait encore travailler pendant des années avec propositions de formation, évolution de carrière… Au bout de 40 minutes cependant, le directrice s’inquiète de savoir si Elisabeth a bien présenté son pass sanitaire. « J’aurais pu lui dire que ça ne la regardait pas car cela fait partie des informations sur ma santé qui ne rentrent pas en ligne de compte… mais je dis les choses comme elles sont et je lui dis que non et j’ajoute qu’il est hors de question que je me fasse injecter ce produit expérimental. Ça me terrifie. » Au lieu de partir en cacahuète, l’échange se poursuit dans un bon esprit et comme il se doit la directrice-adjointe conclut en conseillant à Elisabeth de se rapprocher des ressources humaines.

La semaine du 15 septembre, Elisabeth est en congé. Elle est à mi-temps sur son poste. Le mardi 21, elle retourne donc au boulot à Poligny. A peine, une demi-heure après, la directrice des soins l’appelle de Salins sur son téléphone personnel : quelqu’un à Poligny a donc signalé sa présence. Ce mardi matin-là, son téléphone professionnel ne fonctionnait pas, pas plus que sa messagerie. « J’avais demandé à l’accueil. On m’a dit: oui, y a des problèmes. » Toujours la même directrice des soins lui demande alors ce qu’elle fait à Poligny, si elle a présenté son pass, bref elle lui signifie qu’elle n’a rien à faire là. Elisabeth lui répond qu’elle n’a reçu aucun courrier officiel dans ce sens. « Honnêtement, alors que je m’étais absenté quelques jours pendant mes vacances, je m’attendais à trouver un recommandé dans ma boite aux lettres pour me dire de ne pas venir travailler. Comme je n’avais rien reçu, le mardi, je devais aller travailler. » La directrice lui réitère sa demande de contact vers les ressources humaines en précisant qu’un recommandé est parti la veille. Elisabeth contacte donc les RH qui lui annonce qu’on lui a bien envoyé un recommandé mais pas pour une suspension mais pour « abandon de poste ». Elisabeth s’étonne. A l’autre bout du fil, on lui explique que le 16 et le 17 septembre, elle aurait dû être sur son lieu de travail. C’est déjà surprenant de devoir être sur son lieu de travail alors qu’on n’a pas présenté son pass et qu’on n’est pas vacciné. Mais c’est encore plus stupéfiant d’être accusé d’abandon de poste alors même qu’on est en congé. Elisabeth vérifie quand même son planning: tout le monde peut se tromper. Mais non! Ce n’était pas du prévisionnel. Tout était en ordre. Elle était bien en congé à ces dates. Tout cela est assez troublant: le 21, l’institution trouve sans problème le numéro personnel d’Elisabeth pour lui dire de ne pas venir mais personne n’a été foutu quelques jours plus tôt de l’appeler pour savoir pourquoi elle n’était pas à son poste. L’affaire est cousue de fil blanc, ce qui en milieu hospitalier pourrait être risible. « Abandon de poste, c’est violent comme motif, c’est même plus que violent surtout que mes états de services ont toujours été excellents. » 12 ans de service sans une ombre au tableau. Elisabeth réclame alors un document écrit et un entretien car comme elle le dit, « une suspension, ça n’est pas rien. » Elle s’est donc rendue à Salins pour frapper à la porte de la directrice des RH avec la déléguée syndicale. Elle a reçu son ordre de suspension à ce moment-là. « Je ne suis que le messager », a dit sa supérieure hiérarchique qui se retranche derrière les décrets. Elisabeth attend également toujours une copie de son rapport d’évaluation: « Il parait que c’était bien, m’a-t-on dit. » 

Elisabeth reçoit des nouvelles de ses collègues: une à une, les infirmières se font vacciner pour reprendre le boulot. « C’est triste parce qu’elle se font injecter ce produit malgré elles parce qu’elles n’ont pas d’autres choix. » Certaines ont même proposé de faire une cagnotte pour l’aider. « Elles me disent qu’elles ne m’oublient pas et que je suis un peu leur porte-drapeau. »

Elisabeth est une battante. Elle a des convictions et pas sa langue dans sa poche. On la connait pour ça et certains la redoutent un peu pour la même raison. D’autres également l’aiment bien pour son franc-parler sans forcément être d’accord avec elle. Mais elle accuse tout de même le coup. « Tout ce que tu penses qui ne va pas se faire, ça se fait pourtant. Quand ils te disent que ça va peut-être se faire, tu peux être sûr qu’ils sont en train de nous préparer au choc d’après.» Elle va donc saisir le tribunal administratif et a contacté des avocats. Il faut compter au bas mot 1500 euros: l’idée, c’est donc se mettre à plusieurs pour partager les frais. Sur l’hôpital Louis Pasteur, les soignants mis à pied et requérants vont sur Dijon mais il faut tabler sur 600 euros par cas individuel… pour un résultat très incertain. Pour l’heure, Elisabeth a écrit à son directeur pour contester l’abandon de poste, preuves à l’appui. Elle a aussi appris que celui-ci ne se prétend qu’il ne fait qu’appliquer les ordres de sa hiérarchie. On sent comme un malaise dans l’administration. Ça cafouille. Personne ne veut endosser la responsabilité des injections forcées. Personne n’ordonne, personne n’oblige mais pas de bras, pas de chocolat comme dirait un autre directeur. « J’ai tout de même l’impression d’être face à un rouleau compresseur ». Un rouleau compresseur fait de multiples petites démissions. Mais Elisabeth est décidée à ne pas céder. Son sens moral et ses engagements politiques la poussent à résister. « Quelque part, c’est plus important que nous. Ce n’est plus simplement ma vie personnelle qui est en jeu. C’est la société qui se dessine derrière ce pass et cette vaccination que je juge dangereuse. Toute cette humanité qu’on est en train de transformer. Mais on joue à quoi? »

 

La photo d'illustration a été prise lors d'une manifestation contre le pass soi-disant sanitaire à Dole à laquelle participait Elisabeth. Aux dernières nouvelles, il n'y en a pas.   


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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