Politique

Friorama, un choix pareil, il faut voir ça!

Publié le 11/11/2021 à 11:11 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 04m20s

Ce texte est l'édito de la version papier du mois d'octobre 2021.

Le capitalisme ne sait plus où donner de la planète. Il est prêt à repeindre toute sa merde en vert pour continuer à la vendre aux naïfs et aux distraits. La presse qu’il finance nous explique comment réduire notre empreinte carbone en achetant des trottinettes électriques et en bouffant des bananes qui ont fait le trajet à dos d’homme en exosquelette alors que Musk, Branson et Bezos organisent déjà la pollution publicitaire et touristique de l’espace avec le pognon que nous leur avons fait gagner.

Le pire dans toute cette histoire, c’est que la fortune de ces milliardaires décérébrés continue à faire envie à la grande majorité de nos contemporains. Leur train de vie effréné et leurs lubies idiotes demeurent désirables aux yeux de la plupart d’entre nous. Le luxe et le confort l’emportent encore sur la sobriété choisie et la frugalité heureuse. Pas facile de renoncer à se faire construire une piscine quand on en a les moyens, encore moins d’enfourcher son vélo lorsqu’il pleut ou d’écosser des petits pois alors que la PS5 est à portée de main.

Le principal levier du changement est pourtant là, dans notre renoncement à ressembler, de près ou de loin, à ces profiteurs aveugles et suffisants, perchés dans leurs limbes numériques et perclus de high tech énergivore et destructrice. Contre eux, il nous faut proposer des modèles pragmatiques et immédiats.

A mon avis, la seule véritable proposition qui tienne la route à l’heure actuelle vient du sociologue Bernard Friot auquel l’économiste philosophe Frédéric Lordon a emboité le pas. Une proposition qu’il faut bien se résoudre à appeler communiste, faute d’un meilleur qualificatif. Il s’agit simplement d’oublier le productivisme soviétique qui a fait autant de dégâts que l’hypercroissance à l’américaine, en dénaturant la proposition initiale.

Le projet communiste de Friot consiste à arrêter de produire de la « merde pour le capital », merde que nous consommons allègrement dans les grandes surfaces de la distribution de masse dont les bénéfices remplissent les poches de ceux qui nous rendent la vie impossible avec le QR code, la médicalisation à outrance, la propagande médiatique, j’en passe et des plus tartes.

Arrêter de faire de la merde pour engraisser le capital d’un côté. Produire ce dont nous avons réellement besoin de l’autre, se réapproprier le travail et ses fruits, sortir de l’obsession mortifère du profit financier. Voilà le programme !

Alors, bien sûr, on pourra toujours dire que Friot et Lordon sont des privilégiés qui parlent de leur tour d’ivoire. Peut-être… mais ça leur permet tout de même d’avoir une vision d’ensemble et un plan d’envergure. La carte vitale pour l’alimentaire que dessinent Friot et Réseau Salariat me semble une proposition novatrice qui va dans le bon sens. On peut lui reprocher de rester dans la prospective. Certes! Mais elle repose sur des producteurs qui existent déjà et qu’on peut soutenir sans que la carte à puce qui existe déjà elle-aussi ne soit encore en service pour bien se nourrir. Il suffit d’aller au marché ou à la ferme, d’éviter les grossistes et de prendre le temps de faire connaissance avec celui qui vous nourrit. 

Et puis, il y a la low-tech, la technologie de la débrouille. L’art d’accommoder les restes, le génie du bricolage, le talent du « fait maison ». Ah bien sûr, c’est nettement moins glamour que l’iPhone 13 mais c’est nettement plus gratifiant. Car malgré son nom, le smartphone ne nous rend pas plus futé. Pire, le tout numérique nous asservit. Insidieusement, sournoisement, en nous faisait croire qu’être au top de la technologie, c’est être « hype ». C’est une illusion. La machine ne libère que si elle reste un outil, un outil qu’on maitrise et qu’on peut réparer. Tout comme l’État ne rend service que s’il reste un instrument en faveur de tous, contrôlable et pragmatique.

C’est là que tout se rejoint. Un projet communiste, c’est une dynamique générale pour se réapproprier notre production et nos pensées. On ne deviendra pas son propre patron d’un claquement de doigts mais on peut en prendre le chemin par les sentiers de traverse. Sortir de la consommation courante, c’est aussi bien échanger des graines pour faire son potager avec la Débrouille qui renait, qu’écrire pour Libres Commères qui n’attend que vos contributions. Refuser le drive impersonnel d’Intermarché pour venir choisir vos légumes en plein air. Retaper une bécane vintage avec son voisin et ne pas se précipiter sur une trottinette électrique chinoise, flambant neuve et bon marché à Décathlon. Mais attention! Réfléchir à des solutions avec Philippe Bihouix ne signifie pas se fermer comme une huitre aux démonstrations de Jean-Marc Jancovici. Tous deux encouragent à reprendre notre souveraineté en main.

Friot ne dit pas autre chose : simplement il voit plus large et parle d’une révolution anthropologique, un changement complet des mentalités, afin de se sortir de la logique du profit pour assécher le capital. Ce n’est pas aussi glorieux qu’une mort héroïque sur une barricade mais ça a l’avantage d’être à la portée de tous et aussi radical et efficace. Ça demande de l’imagination et de l’ingéniosité. Et ça, on en a à revendre ! Pardon, à offrir…

Le bourgeois capitaliste, égoïste et cupide, qu’il siège au CA d’une grosse boite ou qu’il se dissimule en nous, doit disparaitre si nous voulons survivre. Son modèle a fait son temps. Il est moche et malfaisant. Il nous faut proposer aux générations qui viennent un imaginaire fait de dignité combattive et d’intelligence collective, une sorte de Friorama, entre Ambroise Croizat et Angus MacGyver, pour bricoler un autre système. 




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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