Mode sombre

En dehors du fait qu’elle soit la reine des paupiettes, la paulette fut accouchée par le secrétaire de la chambre du roi Henri IV. Comme il y aura Juppé et ses jupettes, il y a eu Charles Paulet et sa paulette, une taxe « révolutionnaire » qui a provoqué des remous dans le royaume de France et sans doute de Navarre. L’édit de décembre 1604 a consacré la transmission et l'hérédité des offices par la création d'un « droit annuel ». Au XVIe siècle, on connaissait déjà la vénalité des charges: celui qui voulait occuper une fonction administrative devait s’acquitter d’une certaine somme d’argent. Une sorte d'hérédité des charges existait déjà mais celle-ci demeurait coutumière, occasionnelle et surtout aléatoire, autrement dit non écrite, au cas par cas et par conséquent pas systématique. L’officier, à comprendre comme celui qui occupe l’office, c’est à dire la fonction, contre paiement d'un droit de résignation, pouvait superviser la cession de son office. Puis l’officier a ensuite obtenu le droit de survivance au profit d'un membre de sa famille à condition de survivre quarante jours à la résignation. Cette clause des quarante jours était une sorte de frein à l’héritage de la charge: en cas de mort subite de l’officier, l’office revenait dans le giron du pouvoir royal.

L'édit de Paulet instaure un impôt nouveau, le droit annuel ou paulette, droit qui doit davantage au ministre Sully qu'à Paulet. Chaque année, l'officier paiera une certaine somme, le droit annuel, en échange de quoi, il deviendra libre de faire ce qu'il veut de son office et donc de résigner en faveur d'un tiers, en particulier de sa famille. En échange de cet impôt régulier, l’officier n’est plus obligé de survivre quarante jours à la signature. 

La paulette n'ajoute rien à la vénalité des charges, mais elle facilite et officialise leur hérédité. L'édit de 1604 aurait ainsi renforcé le caractère de caste du monde robin, une caste où l’argent prend le pas sur le mérite ou l’ancienneté. L'officier va désormais devenir plus que jamais le propriétaire, indéboulonnable, indépendant, et éventuellement frondeur. La rivalité croissante entre officiers, propriétaires de leurs charges, et commissaires, serviteurs de l'État nommés et révocables par le roi, se trouve renforcée par la paulette. Autrement dit, si elle rapporte de l’argent aux caisses royales, la paulette affaiblit son pouvoir, ce qui fait écrire à Robert Merle dans Les Roses de la vie, « … la paulette, en rendant quasi automatique la transmission héréditaire des charges, tendait à créer une aristocratie bourgeoise héréditaire, plus riche et à la longue plus influente dans le royaume que l'aristocratie d'épée. » 

Cette subversion financière de l’institution administrative me parait particulièrement intéressante : elle montre comment la bourgeoisie, après avoir acquis le droit d’acheter les charges avec sa fortune pécuniaire, rend héréditaire ce privilège acquis par la bourse. La propriété de la charge passe ainsi du pouvoir royal aux mains de celui qui a les moyens financiers de se l’offrir. Le pouvoir se monnaye et une fois accaparé reste dans l’escarcelle de la famille bourgeoise. 

Voilà par conséquent un exemple parfait de l’opiniâtreté d’une classe révolutionnaire à établir progressivement sa domination aux dépends d’une classe jusque-là dominante. La noblesse d’épée qui soutient le régime féodal où le roi attribue les charges et les reprend perd peu à peu de son hégémonie au profit d’une classe de commerçants fortunés qui au cours des décennies suivantes va grignoter patiemment les privilèges de cette aristocratie déclinante. En 1789, le fruit sera mûr et la révolution bourgeoise n’aura plus qu’à cueillir ce qu’elle a patiemment couvé pendant des siècles. Un bel exemple, quoique moralement condamnable, à méditer pour la classe révolutionnaire que nous tentons de faire émerger. La patience et l’humour sont les deux qualités cardinales du révolutionnaire disait Lénine. Dans le cas de la bourgeoisie, l’humour a été remplacé par la cupidité et elle n’a jamais été aussi impatiente d’engranger. Quant à nous… disons que le temps joue en notre faveur. C’est peut-être pas vrai mais ça fait du bien de le dire.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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