Mode sombre

Poutine envahit l'Ukraine la semaine dernière, Macron s'improvise sauveur et personne ne l'écoute hormis les médias français qui voient en lui le sauveur du monde libre. 

Voilà, le contexte est planté. Classique ce contexte. 

Alors, lorsque de bon matin je découvre la situation, je me dis qu'on est partis pour un bout de temps, que cette guerre merdique interminable va faire beaucoup de morts inutiles, que les experts géopolitiques des plateaux télé vont passer les uns après les autres pour glorifier "Manu le médiateur" et ainsi contribuer à sa réélection, que les capitalos ont trouvé le parfait contraste pour justifier leur inhumanité ("c'est le ruissellement ou Poutine! Vous ne voudriez pas vivre en dictature, pas vrai ?") Et que sitôt le covid en sourdine la stratégie du choc reprend avec l'Ukraine. 

Je prends le tram à Dijon, j'entends deux personnes discuter. Comme d'habitude, c'est plus fort que moi, je ne me résous pas à prendre mon téléphone en main et passer le temps, je préfère écouter mes voisins avec la plus malsaine des curiosités. 

Alors que ça parle de Poutine, de l'Ukraine, du gasoil, du covid, j'entends l'une des deux personnes dire "On naît mal". Je suis si d'accord que j'acquiesce à voix haute. Surprises, les deux personnes lèvent leurs têtes endormies et masquées. 

Je me confonds en excuse mais je développe. Un syrien ou un ukrainien est immédiatement plongé dans la guerre, un pauvre ne peut pas prendre l'ascenseur social car il n'y a qu'un escalier condamné là où il grandit, un noir en France sera plus contrôlé par une police de jour en jour plus raciste. 

Pourtant je suis persuadé qu'il y a des alternatives. 

Que si on ne joue pas le jeu du système capitaliste occidental, on peut vivre différemment. Que la vie peut être belle, et que seul l'amour compte. 

Mes deux interlocuteurs me regardent, aussi gênés que le public des Césars face aux fesses d'une youtubeuse en mal de célébrité. 

L'un d'eux,  par gentillesse,  finit par me dire que j'ai mal compris. Qu'il voulait dire "on est mal" pas "on naît mal", qu'il pensait à lui en premier lieu et à son pays dans un second temps, que ce que j'avais dit n'avait fait que renforcer son mal-être, que "merci, la journée s'annonçait morose et maintenant ce sera encore pire". 

Je ne dis rien, me lève, vais plus loin. Au bout, j'entends encore mon interlocuteur: "Hey connard, j'ai pas fini! On est mal, on naît mal, mais surtout on comprend mal! Bonne journée ducon." 

C'est ainsi que, mu par une force que je ne me connaissais pas, je suis revenu voir ces deux étranges êtres, me suis grandi comme un animal toisant un adversaire avant la bagarre, et ai pris mon air le plus menaçant que je connaisse. Celui de Depardieu dans les valseuses. Je suis entré dans la zone d'espace vital, ai reniflé un cou qui sentait l’après-rasage bas de gamme, me suis raclé la gorge. 

Et puis je suis sorti. 

Au loin, un doigt sur la tempe me signalait que j'étais toc-toc. 

Je m'en foutais, Poutine avait lancé les hostilités, les répercussions allaient plus loin que je ne l'aurais imaginé. 

Benjamin Alison


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