Mode sombre

Avec un certain réalisme et un soupçon de cynisme, on peut définir la campagne présidentielle en Vème République comme un jeu pipé de séduction perverse où un candidat outsider tente de défaire le lien qui unit un électeur à son candidat régulier comme un mari à sa femme ou une religieuse à son dieu. Bien sûr, le candidat sera tenté de décider l’indécis ou d’aller chercher l’abstentionniste parce que ce qui compte dans le vote, c’est le nombre et pas la qualité des voix mais l’outsider en campagne est par-dessus tout attiré par la perspective de ravir son électorat à son rival. Pour cela, tous les moyens du marketing ordinaire et du ravissement subliminal seront bons.

C’est bien connu, bien plus que le choix d’un programme, « l’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un pays, d’un homme et d’un peuple. » C’est à François Bayrou en meeting à Caen, en 2007, qu’on doit cette formule mais c’est au populisme du général de Gaulle que l’on doit l’idée. « Faire une élection, c’est raconter une histoire de telle façon que l’enfant qui sommeille en tout électeur croie que le candidat est le seul héros crédible de cette histoire. » Là, c’est le publicitaire Jacques Séguéla, l’un des artisan de l’élection de Mitterrand (roi des dissimulateurs et avocat de formation) qui le déclarait à L’Événement du jeudi en 1990.

Une campagne, c’est par conséquent l’histoire d’un abus de confiance. Don Juan arrive avec sa caravane et il fait du plat à tous ceux qui l’écoutent. Il ment comme il respire car en plus, c’est souvent un psychopathe de la parole trahie. Il présente bien, il flatte, il séduit, il embobine, il promet tout ce que les sondages et les cabinets de com’ lui suggèrent de faire miroiter, il veut conquérir à n’importe quel prix quoi qu’il en coûte. Mais ce qui motive au plus haut point le Don Juan des urnes, c’est la subornation de l’électeur de son rival, un concurrent qu’il méprise parce qu’il n’est pas à la hauteur de sa grandeur à lui ou alors qu’il jalouse parce qu’il a une plus grosse intention de vote à son actif. Il le convoite ce sympathisant du camp adverse. Il le caresse dans le sens du poil, reprenant sans vergogne les meilleures idées de l’adversaire pour détourner l’irrésolu qui va se tâter jusque dans l’isoloir. 

Et puis, une fois le mandat en poche, l’élu oublie sa conquête, Kleenex usagé après la branlette rhétorique: l’électeur qu’on aura gagné à la force de conviction est prié de retourner dans la masse et de fermer sa gueule pour applaudir devant sa télé. L’élection en Vème république est un abus de confiance, mon cher Sganarelle, « on goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. » Le candidat Don Juan aime la débauche, autrement dit le fait d’arracher au partenaire légal l’objet convoité. Pour lui, la trahison est une récompense plus satisfaisante encore que le premier amour. Je vous laisse le soin de mettre des noms dans les cases.

 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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