Mode sombre

Régulièrement, surgissent sur les réseaux sociaux des controverses à propos de la rémunération des musiciens dits amateurs ou semi-professionnels qui se produisent et se re-produisent dans les bars. Les arguments des uns se heurtent à la méconnaissance de la pratique musicale des autres et il conviendrait de s’interroger sur la notion de métier pour se forger une opinion en toute connaissance de causes.

Si, dans les manuels d’éco-gestion, on définit le métier comme une activité rémunérée, il faudrait bien séparer l’activité de la rémunération pour ne pas écarter la pratique amateur d’un revers de castagnette. Le métier est certes une activité et sa rémunération est l’expression financière de sa reconnaissance sociale au sein d’une société orientée vers la thune comme la nôtre où il se dit, dans les milieux capitalistes et parasitaires, que tout travail mérite salaire. Sans blague! Dans ce cadre, seul le musicien employé dans une formation institutionnelle comme l’Orchestre Victor-Hugo Franche-Comté ou l’Orchestre de Radio France aurait le statut de salarié et par conséquent de professionnel. Tous les autres seraient des artisans payés à la tâche (le cachet) ou à la pièce (l’album vendu ou le morceau passé en radio ou sur les plates-formes).

Or les artistes bénéficient en France d’une législation particulière qui leur permet de toucher des indemnités s’ils peuvent attester d’un nombre suffisant d’heures de travail effectif : les intermittents du spectacle ont alors un métier plus ou moins permanent et rémunéré malgré un emploi de leurs compétences en pointillé.

La performance musicale en public ne constitue en effet qu’une petite partie de l’activité du musicien: c’est le résultat visible de tout un travail préparatoire de répétition, voire de composition, sans compter toutes les années d’apprentissage car on commence en général assez jeune à travailler le solfège et à jouer d’un instrument. J’ai personnellement commencé la flûte à bec à 8 ans avant d’achever ma carrière trois semaines plus tard quand on s’est aperçu qu’il me manquait deux doigts. Les pouces.

Le musicien souffre par ailleurs d’une image très romantique de son activité. Que de fois, il s’entend dire qu’il a de la chance de pouvoir vivre de sa passion et que la plus belle récompense est le plaisir qu’il a de jouer. C’est l’argument que certains tenanciers de bars tiennent face aux musiciens qui viennent assurer l’ambiance dans leurs établissements. C’est aussi un bon prétexte pour ne les payer qu’en consommations « à l’oeil » avec la possibilité de faire « circuler le chapeau ». Cette pratique qui s’apparente à la manche dans la rue ou le métro est depuis pas mal d’années déjà remise en cause par des musiciens qui exigent un cachet pour couvrir leurs frais d’une part et pour d’autre part obtenir une reconnaissance de leur participation à la vie sociale sur un mode artistique certes mais bien réel et produit, même si c’est du son non-palpable et non-consommable, par la bouche en tous cas.

La musique a en effet une utilité sociale que personne ne pense à nier mais que peu de gens pensent toutefois spontanément à assimiler à un véritable travail pour l’interprète ou le compositeur d’ailleurs, sauf peut-être lorsqu’il y a un objet matériel à la clef comme un disque vinyle ou un CD. Pourtant pas de bal sans orchestre et pas d’orchestre sans répétition. Quelle que soit la qualité de la prestation, une somme de travail importante est nécessaire pour arriver à un résultat d’ensemble audible et ce n’est pas parce que le musicien y prend du plaisir qu’il vit d’amour et d’eau fraiche. Qui penserait à demander à un coureur automobile de lui servir de taxi au seul prétexte que conduire est un plaisir pour lui?

Reste que toute activité musicale ne doit pas forcément être rémunérée: on peut trouver une entière satisfaction à jouer pour soi, à faire un concert pour des amis ou tout simplement à s’exercer en public. Ce qui est important, c’est que l’auditeur ne pense pas que la musique n’est qu’un loisir de détente. On peut prendre énormément de plaisir à en faire mais le temps qu’on y passe dans un cadre professionnel n’est pas du temps libre. On est également en droit de gagner sa vie, ou même un supplément de revenu, en jouant pour les autres. Le travail n’est pas non plus nécessairement une souffrance et celui qui éprouve du plaisir à pratiquer son métier ne doit pas se sentir coupable pour autant, ni inutile. Ce serait ridicule.

Avec le salaire à la qualification que propose Bernard Friot, la question se poserait tout autrement puisque le problème de la rémunération serait réglé une bonne fois pour toutes: ne resterait que l’envie, ou pas, de jouer pour les autres, le désir, ou pas, de rendre service et de procurer du plaisir. Les perfectionnistes iraient toujours vers l’excellence, les avant-gardistes vers l’innovation et les nullards seraient contraints, faute de public, de rester chez eux sans mourir de faim pour autant. 

Je pense sincèrement que personne ne peut vivre dignement sans reconnaissance sociale. Cette dernière se mérite par une certaine qualité de la prestation, elle-même issue d’un travail. Un gros bûcheur provoque l’admiration par sa persévérance face à l’adversité alors qu’un fainéant n’obtient aucune considération par sa paresse. Les musiciens n’ont aucune raison de pouvoir échapper à cette règle.

Reste au public à ne pas encourager le vice du cossard et à valoriser la vertu du travailleur. On le comprendra, le chemin est encore long.

Maurice Lacolonne


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