L’air du vide
Ce texte est initialement paru dans la version papier du journal mais il reste d'actualité vu que Macron n'est pas prêt de changer.
Le président a parlé lundi 17 avril, à la suite de la promulgation de la réforme des retraites. Cette aria était totalement vide. Pour la forme, il convenait de se tenir à la télévision devant les citoyens sans qu’une intention quelconque de dire vraiment quelque chose apparaisse dans les 13 ou 14 minutes de l’intervention. Il a incarné ce que Roman Jakobson, éminent linguiste du siècle dernier, désignait comme la fonction phatique du langage, fonction qui consiste, pour le discoureur, à confirmer sa présence à son interlocuteur, sans mettre en jeu le moindre contenu signifiant, par exemple quand, au téléphone, on dit : « Allo ?, Tu m’entends ? ».
En écoutant le non-discours de Macron, Louis a cru saisir le rapport que celui-ci entretient avec le langage. Nous savons que ce président se rengorge de son verbe, de ses formules, que la rhétorique lui suffit, peu lui importe la traduction concrète de ses dires. Ce rapport, avant tout esthétique, au langage, est le propre de celles et ceux qui n’ont rien à demander parce qu’ils ont déjà tout, disons tout ce qu’il faut pour se sentir chez soi dans la société telle qu’elle est aujourd’hui : l’argent abondant, de confortables logements, des loisirs de qualité, des relations efficaces. Macron fait partie de la caste des possédants, pour lesquels le monde actuel est un environnement agréable, propice à leurs intentions, à portée de leurs désirs et adapté à leurs moyens. Dans un tel contexte, la parole et le langage sont des éléments décoratifs, dont on use pour embellir le réel, qu’on aime utiliser pour briller dans un milieu où tout a été donné. En revanche, pour le peuple, c’est-à-dire celles et ceux dont l’existence est précarisée et fragilisée quotidiennement par le néolibéralisme ambiant, les mots n’ont pas la même finalité. Ils sont d’abord les occasions de la plainte, puis les adjuvants de la revendication et, enfin, les armes de la révolte contre une politique sociale inégalitaire et injuste, ils encadrent les luttes contre un système qui étouffe et réduit à la survie. Ils font alors dissonance avec le réel, butant sur la résistance des institutions et des traditions, affrontant la rengaine thatchérienne du : « Il n’y a pas d’alternative », ils ne sont pas immédiatement, loin s’en faut, en phase avec le monde tel qu’il est. Ce qu’attendent des mots et des discours, celles et ceux qui ne sont pas dans la position privilégiée où l’on peut faire ce que l’on dit, c’est qu’ils désignent les choses telles qu’elles sont vécues et ressenties, sans figures de style, sans périphrases. Dans le langage des aspirations du peuple, se mesure la distance entre les mots et les choses, s’éprouve l’éloignement du réel, la fermeture des possibles. La volonté de s’exprimer n’est pas pur verbiage, elle est volonté de se matérialiser ici et maintenant, et elle ne peut pas ne pas rencontrer les signes laissés par la parole des dominants, toutes les formes du pouvoir, hostiles et réfractaires aux mots du peuple.
Sur le plan politique, le fait de ne rien dire de ce qu’espéraient les Français n’est que la continuation de la ligne tenue par la Macron Company : servir le marché et huiler ses mécanismes. L’État n’est pas là pour changer la société, c’est-à-dire la rendre plus juste et plus vivable pour la majorité des citoyens, il est là pour la maintenir sous la coupe du libéralisme économique, au profit des seuls intérêts d’une minorité. La seule question qui anime les tenants de cette ligne est de savoir comment le servir au mieux, comment mettre en place les lois les plus efficaces dans ce but. Ce qui peut inquiéter certains, pourtant d’accord idéologiquement avec le duo Macron-Borne, c’est que la loi sur les retraites, mal embarquée, risque de provoquer des troubles trop importants, nuisibles aux intérêts des dominants. Faire de la politique, pour tous ceux-là, c’est réfléchir aux mesures les plus favorables au progrès de la machine libérale, mais ce n’est jamais remettre en cause la légitimité d’une telle perspective. Leur conviction commune est que les jeux sont faits : aucun accroc ne doit désormais empêcher le capital de régner en maître absolu sur les sociétés contemporaines. Dès lors, les ”missions” de l’État consistent à interdire tout autre projet que celui de la domination absolue du profit et sa fonction prioritaire est de garantir l’ordre qui favorise cette domination. Louis voit là les raisons de la violence répressive sans complexe qui se manifeste dorénavant. Paradoxalement, on retrouve ici une lecture de type stalinien : l’Histoire est finie, le capitalisme est le présent éternel de l’humanité, tous ceux qui s’y opposent sont de dangereux attardés qu’il faut faire plier, par tous les moyens disponibles. Lorsque Macron et ses ministres nous rabâchent que les opposants à la réforme des retraites luttent contre elle ”parce qu’ils n’en ont pas compris” les tenants et aboutissants et que, finalement, ce n’est qu’une question de ”pédagogie”, peut-être en sont-ils convaincus, ils montreraient par-là leur incapacité à concevoir un autre modèle social et politique. Comme les staliniens d’antan, ils pensent selon leur logique unidimensionnelle, sans pouvoir en sortir.
L’allocution du 17 avril a rappelé à Louis cette sinistre époque : à la télévision d’État, un homme, seul, doté de tous les pouvoirs, nous disant : « Allo, vous m’entendez, c’est moi. Vous êtes toujours là ? ».
À propos de l'auteur(e) :
Stéphane Haslé
Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.
Philosophe
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