Ma nuit olympique
Dans la nuit du 18 au 19 avril 2024, j’ai rencontré Pierre de Coubertin. J’ai d’abord cru voir Marcel Proust. Moustache, veste à bord rond, chapeau, l’un et l’autre arborent les mêmes attributs sur leurs portraits connus. J’ai d’abord paniqué car ayant fait croire à tout le monde que j’ai lu toute son œuvre, ma forfaiture ferait long feu face à l’Auteur en personne. “Vous ne me connaissez pas“ me dit-il soudain, “moi je vous connais, nous sommes quelques-uns dans l’au-delà à lire Libres Commères, et j’ai insisté pour vous visiter“, puis il ôta son gant droit, son chapeau, les réunit dans la main gauche qui tenait déjà la canne, me tendit sa dextre “Charles Pierre Fredy, baron de Coubertin“ je soupirai de soulagement et bafouillai en saisissant sa main.
Je repris vite mes esprits, “que me vaut l’honneur ?“ dis-je d’une voix assurée et rassurée. Et là, il me dit tout le mal qu’il pensait de mes chroniques olympiques, des médailles de pacotille que je distribue sans songer aux conséquences, de mon ironie face à ce qui fut l’œuvre de sa vie… Il devenait de plus en plus menaçant, levait sa canne avec véhémence et avant qu’il me fendît la joue, je me dépêchai de m’éveiller, essuyai la sueur sur mon visage, l’aspergeai d’eau froide et préparai le café sans même m’apercevoir qu’il était 3 heures 42 minutes le 19 avril 2024.
Un peu plus tard je comparais les portraits de Marcel et de Pierre et constatais qu’ils ne se ressemblaient pas du tout. Pourquoi Marcel Proust ? Est-ce un début d’obsession ou le remord me taraude-t-il ? Il sera toujours temps d’en parler à mon analyste quand j’aurai feuilleté la Recherche et Swann, pour faire bonne figure quand même.
Il n’empêche qu’après un rêve aussi étrange et aussi pénétrant, la voix de Coubertin me revenait sans cesse, comme une ritournelle qui ne vous quitte plus et vous entraine dans ses filets. Je sais bien que le baron olympique commit des écrits racistes et eut des amitiés fascistes, voire nazies. Mais ses paroles vrillaient ma raison et je finis par admettre que mes médailles sont bien dérisoires. Comment récompenser à sa juste valeur le président du comité d’organisation des Jeux olympiques qui s’octroie des sommes faramineuses en rémunération de sa fonction ? Comment qualifier l’individu qui a chassé les étudiants des logement du CROUS ? Bien sûr il y a plus dérisoire encore que mes médailles : Amélie Oudéa Castera qui parle de la fierté que ressentiront ces étudiants quand ils diront qu’ils se sont sacrifiés pour la grandeur de la France ; Valérie Pécresse qui déclare que si le prix du ticket de métro va augmenter pendant les jeux, c’est pour inciter les gens à ne pas le prendre ; et bien sûr notre président chéri qui veut taxer la vente des livres d’occasion, sans doute pour se venger des bouquinistes qui n’ont pas voulu libérer les quais de la Seine le temps de ces fêtes royales.
Mais il y a aussi beaucoup plus grave : notre président toujours qui avait décidé face caméras que la cérémonie d’ouverture se ferait sur la Seine sans en avertir personne ni dans son entourage, ni parmi les organisateurs, et qui décide aujourd’hui de même, sans concertation, que peut-être cette cérémonie aurait lieu à Saint-Denis, ou ailleurs… Plus grave encore le cynisme destructeur dénoncé par Anne Clerval et Laura Wojcik dans leur livre “Les naufragés du Grand Paris Express“. Elles expliquent que les Jeux olympiques sont l’opportunité pour booster ce projet de super RER autour de Paris en commençant à exproprier les habitants des cités les plus populaires particulièrement à Saint-Denis et Aubervilliers. Quelle médaille aurais-je pu attribuer à ce cynisme crasseux qui consiste à chasser loin de la première couronne ces manants qui empêchent le roi et ses courtisan.e.s de réaliser leur rêve d’un grand Paris à l’égal de Londres ou New-York fantasmés par leurs esprits fanatisés?
Aucune médaille pour cela.
À propos de l'auteur(e) :
Jean-Luc Becquaert
Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.
Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.
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