Hasta siempre Miguel !
Il signait Miguel Staplinkrust dans Libres Commères où il taillait volontiers des croupières dans une explosion de colère qui le prenait régulièrement au fil de l’actualité.
Michel Bourgeois de son vrai nom était un lecteur assidu de Libres Commères et on avait pris un verre ensemble chez Mumu où il s’arrêtait régulièrement : nous avions parlé musique (c’était l'ancien bassiste de Kastor Diesel), rugby bien sûr, boulot et politique en général. Il m’avait aussi confié son envie d’écrire pour le journal. Je l’ai encouragé. Dès avril 2022, il m’a envoyé son premier texte.
Fin mai, il m’a parlé de son affaire d’indemnisation rapport à l’incendie qui avait ravagé en partie son appartement et entièrement l’escalier pour accéder chez lui. Les assurances trainaient des pieds pour passer à la caisse, le syndic puait le chacal et le propriétaire du dessous d’où était parti le sinistre avait fait disparaitre tous les indices compromettants. Michel avait été relogé en face dans un logement nettement plus petit.
Son appartement niché sous les toits, rue des Vieilles Boucheries, faisait sa fierté et il ressentait comme une injustice insupportable le peu d’empressement que la compagnie d’assurance mettait à constater les dégâts et à engager les travaux. Il m’a montré les dégâts du sinistre et je lui ai filé un petit coup de pouce pour qu’on parle de lui dans la presse. Malgré ses ennuis, il s’est mis à écrire pour le canard plus régulièrement : ça le changeait des courriers administratifs et comme il avait une sensibilité bien à gauche, il a rapidement trouvé une place dans nos colonnes. Il m’a rapidement surnommé le « Polit Buro ».
A la toute fin septembre 2022, il m’a prévenu qu’il allait entamer une grève de la faim pour faire valoir ses droits. Ras le bol d’attendre que ces messieurs-dames veuillent bien se bouger le cul pour remettre l’immeuble en état et qu’il puisse retourner vivre chez lui et accueillir décemment sa fille. Ceux qui connaissaient Michel savent combien cet ancien joueur de rugby était déterminé et pugnace. Sur ce point, il aurait pu être breton. Mais ses origines étaient espagnoles et il était né en Algérie en 1962. Impossible pour moi de lui faire changer d’avis : il connaissait la violence d’un tel acte, on avait parlé de Bobby Sand et il savait à quoi s’en tenir à ce sujet. J’ai donc accepté de lui faire cette banderole qu’on a suspendue sous sa fenêtre avec la complicité de sa voisine. Tous les Dolois qui sont passés par là ont pu la voir. Avec Mohamed Bouarfa, son collègue à l’IME où Michel était éduc’spé, on a créé un comité de soutien, sa cause a pris de l’ampleur et au bout de plus de trois semaines sans se nourrir, Michel a fini vers la fin du mois par obtenir l’assurance que les travaux débuteraient enfin. J’ai pu mesurer sa détermination à chaque fois que je suis allé le voir pendant cette période. Il ne se plaignait pas trop mais les cons en prenaient pour leur grade : j’ai encore les noms.
Il a fêté sa victoire en venant boire une bière à la Bobine et en se tapant des ris de veau dans un resto en ville. On avait prévu de faire une autre banderole mais on a finalement laissé tomber (le projet est en photo à la fin du texte).
Michel a également gagné un statut de contributeur permanent à Libres Commères : Miguel Staplinkrust se présentait comme un révolutionnaire en retraite, « révolté de nature et pirate indépendant, le rock et le blues m'ont toujours aidé à cheminer. Passionné d'Histoire, de préhistoire aussi, d'humanité en fait, dans un monde qui en manque cruellement, la pratique du rugby m'a convaincu de l'importance de la solidarité, du combat, et par conséquent de l'espoir... Aujourd'hui, à travers Libres Commères, j'essaye de partager ma vision d'un monde que je continuerai de rêver plus juste, malgré tout... Hasta... Siempre ». C’est ainsi qu’il terminait invariablement ses articles. Ils sont tous disponibles sur le site. Comme photo de lui, il nous avait fourni sa frimousse de gamin souriant, une photo que j’ai revu à ses obsèques : il y figurait aux côtés de ses deux grands frères.
Même s’il était très discret sur ses problèmes de santé, il avait tout de même fini par nous avouer, à Mohamed et à moi, qu’il était atteint d’un cancer. Chimio et tout le toutim, il a méchamment morflé. On l’obligeait à donner des nouvelles. Jamais il ne nous a demandé d’aide : ça en devenait frustrant.
Je l’ai croisé à quelques reprises : on parlait politique invariablement. Et aussi de sa santé, des effets secondaires de la thérapie, de son épuisement. Il avait fini par demander à arrêter tout traitement. L’avant-dernière fois que je l’ai croisé, il sortait de chez le notaire où il « avait mis les choses en ordre ». Les semaines ont passé. Sans nouvelles.
A un mail lui en demandant justement, il m’a répondu par un très beau message : Michel avait le sens de la formule et de l'image parlante. Le texte est en conclusion de l’article. Il résume bien le bonhomme. Avec Mohamed, on a, malgré l’opposition de façade de Michel, fini par obtenir son accord pour aller le voir à l’hôpital, tout en haut, tout au fond. C’était une dizaine de jours avant sa mort. On a pourtant passé deux heures à discuter et à plaisanter. On l’a trouvé plutôt bien, affaibli et barbu, mais avec toute son acuité intellectuelle malgré la morphine, des souvenirs intacts et toujours plein de cette ironie piquante et railleuse qui donnait toute sa sève à une conversation avec lui. C’est ce que l’un de ses frères nous a redit aux obsèques : Michel n’a pas flanché, juste un peu plus fatigué peut-être, jusqu’au soir de la veille de son décès, le mercredi 4 décembre.
Alors qu’on allait quitter sa chambre, il m’a dit qu’il aimerait bien que je lui fasse une petite nécro dans Libres Commères et puis, tant que j’y étais, que j’écrive une horreur ou deux sur Aurore Bergé qu’il ne pouvait pas voir en peinture : il n’est pas le seul. Michel savait qu’il ne rentrerait pas chez lui et il était prêt à partir, assez serein d’après ce qu’il laissait entendre.
Il y avait du monde à sa crémation. Une belle cérémonie. Des témoignages sincères qui ont fait piquer les yeux. Des photos aussi, des morceaux qu’il aimait et un extrait de concert de Kastor Diesel. Simple et sans falbala. Michel aurait apprécié ce que l’un de ses deux fils a trouvé le courage de dire au micro. Il aurait été fier.
Mes mots sont franchement plats pour raconter tout ça, alors je me permets de publier ici le message dont je vous parlais plus haut. C’est une très belle lettre d’amitié qui contient tout ce qu’était Miguel Staplinkrust pour Libres Commères, et plus particulièrement pour moi.
Samedi 23 novembre, 15h36
Salut camarade,
Je te réponds enfin depuis mon 15 mètres carrés en pneumo à Dole , j'y suis depuis mardi en 15, et je pense ne pas pouvoir retourner dans mon appart, ça devient trop compliqué au regard de mon état de santé, qui comme prévu se dégrade, insuffisance respiratoire (sous 6 litres d'oxygène) le moindre effort c'est l'Everest ou l'Annapurna mais je ne rentrerai pas au camp de base, la science ne peut plus rien pour moi, hormis, et c'est déjà pas mal, me soulager à grand renfort de morphine. Le personnel de mon lieu de privation de liberté est bienveillant, et en coordination avec les soins palliatifs, ce qui devrait me permettre, pour mon dernier aller-simple, un voyage paisible, et c'est rassurant.
Voilà les nouvelles de mon front, j'attends patiemment la muleta, qui mettra un terme, certes à quelques années de galère, mais ce que je retiens de ma vie ce sont les rencontres, le rugby, le rock, un métier riche en humanité à défaut d'espèces sonnantes et trébuchantes, et surtout 3 beaux enfants dont je suis fier. Je ne regrette surtout pas d'avoir vécu "à fond la caisse" dans une vraie attitude rock, qui est un moyen de résister au merdier en place.
Je tenais très sincèrement à te dire combien j'ai apprécié ta rencontre et ton soutien, ainsi que ma modeste participation à Libres Commères.Quel dommage de manquer d'énergie avec une actualité aussi improbable que révoltante, mais je préfère me retirer sur la pointe des pieds, et vous laisser vous charger de dénoncer l'ensemble des scandales en cours, qui ont comme source et à mon sens le libéralisme extrême.
De plus, j'ai beaucoup de difficultés à parler du fait d'une métastase sur les cordes vocales, et je ne souhaite pas être vu dans mon état assez dégradé, je pense que tu le comprendras.
Salue pour moi chaleureusement (sauf les wokistes qui se trompent de colères...) tous les camarades, le combat doit continuer... hasta… siempre
fraternellement,
Michel
Adieu camarade !
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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