Il semble bien à Louis que Souchon peut être classé assez spontanément dans la catégorie des“ chanteurs populaires“. Pourtant, il a été récemment vilipendé et attaqué par les populistes de droite et d’extrême droite au prétexte qu’il espérait que les Français ”ne seraient pas assez cons” pour élire quelqu’un du RN aux prochaines élections. Il lui fut reproché, par les représentants de ce courant d’idées, de mépriser le peuple et de montrer, par ce jugement, son éloignement des Français, des vrais Français. Le peuple aime Souchon, mais lui, Souchon, bobo des beaux quartiers, ne l’aime pas. Le populisme, ce serait donc cela : aimer le peuple et être aimé par lui.
Ce qui amène Louis à penser que l’idée de peuple à laquelle nous nous référons ici, à travers la mésaventure de Souchon, n’est pas une idée politique, au sens où elle ne peut être opératoire dans le champ de l’action politique.
Le peuple comme objet d’amour ou le peuple comme source d’amour existe peut-être, mais ce n’est pas ce peuple-là qui doit être considéré quand on veut agir politiquement. Osons une analogie : pendant longtemps, un homme pouvait dire qu’il aimait sa femme (et ce pouvait être sincère) mais il n’aurait pas voulu qu’elle ait les mêmes droits que lui, de même qu’une épouse pouvait aimer son époux sans penser une seconde à revendiquer son autonomie financière et matérielle. Une situation qui a pu aller jusqu’à ce que, au moment d’établir l’égalité entre les sexes, certains et certaines ont jugé que cette égalité nuirait à leur amour, si beau et si pur loin de telles considérations, bassement juridiques.
Pour sortir du populisme, il faut donc former une idée politique du peuple, c’est-à-dire une idée qui rende compte de sa fonction politique et réfléchisse à sa capacité d’action politique. Marx hésitait à parler du peuple, il préférait user de concepts comme “prolétariat“, ”classe ouvrière”, notions qui enracinaient le peuple dans la réalité économique, il désignait, par ces concepts, l’ensemble de ceux qui produisaient, par leur travail, les biens et marchandises nécessaires à la vie collective et qui, en même temps, étaient dessaisis de ce qu’ils produisaient, soit parce que ce qu’ils produisaient étaient défini et imposé par d’autres, soit parce que la valeur de leurs produits, traduite en salaires, ne correspondait pas du tout à la valeur réelle qu’ils avaient générée. Double aliénation.
Nombre de discours politiques s’efforcent de masquer cette réalité concrète. On préférera, par exemple, parler des “Français“ pour écarter toute relation à la sphère économique. Comme s’il existait une identité toujours déjà là et qu’un peuple français était un peuple parce que français. Mais l’idée “France“ est une idée totalement abstraite qui ne renvoie à aucune objectivité immédiate, qui peut être interprétée de cent façons différentes et se prêter à moult manipulations.
On emploiera parfois le mot ”Citoyen” pour ne pas employer le mot peuple. Mais le citoyen est un être abstrait lui aussi, il est d’abord une figure juridique, anonyme et, en quelque sorte, achevée, fermée sur elle-même. Être citoyen, c’est avoir des droits et des devoirs et c’est même par ces droits et ces devoirs que l’être-citoyen est constitué. Il manque ici la dimension historique, active, de l’existence, qu’elle soit individuelle et collective.
Cependant, nous ne pouvons plus, non plus, reprendre telles quelles les analyses de Marx, la classe ouvrière et le prolétariat ne sont plus seuls à occuper l’espace des dominés en régime capitaliste. C’est en partie pourquoi le concept de peuple peut revenir au premier plan de la pensée et de l’action politiques. Dans le moment présent, le capitalisme se déploie sans le moindre souci des effets de son développement, il détruit les hommes et la nature dans le seul but de maximiser ses profits. Au commencement, (fin XVIIIe – début XIXe) cette maximisation était limitée par les moyens techniques dont il disposait et ne s’exerçait que dans des domaines circonscrits (grande industrie, en particulier), ensuite (fin XIXe- jusqu’aux années 60), elle fut contrecarrée par la résistance que lui opposèrent les forces d’opposition (syndicats ouvriers, partis de gauche et/ou révolutionnaires), aujourd’hui (depuis les années 80), son empire est absolu, toutes les innovations technologiques sont mises au service de ses objectifs (ainsi internet, le numérique, l’IA, etc.), tous les espaces de la vie sociale sont sous son dominium exclusif et les oppositions se réduisent comme peau de chagrin. C’est pourquoi ce mouvement d’expansion brutale est directement ressenti par la plus grande partie des populations. Même celles et ceux qui semblent profiter de ce système en subissent les conséquences néfastes (burn-out en hausse chez les cadres supérieurs). Louis propose donc de réunir toutes ces vies précarisées, soit matériellement, soit psychiquement, dans la catégorie ”Peuple”. Sans nier la lutte des classes théorisée par Marx. Il y a bien une classe dominante, ultra dominante, celle qui a le pouvoir de jouir des bénéfices obscènes du mode de production capitaliste - et dont nous voyons combien elle en jouit et combien elle refuse tout partage de la richesse – et une classe dominée – dominée selon des modalités variables, de l’immigré sans papiers au DRH d’une grande entreprise, les différences sont notables – mais qui a comme point commun de n’avoir plus aucun moyen de maîtrise sur son destin, personnel et collectif, et qui est entièrement dépossédée de tout contrôle sur son avenir et sur celui de sa famille. La priorité politique est de reconstruire les conditions de l’unité de ce peuple-là. Pour cela, il faut combattre les discours qui s’attachent d’abord à ce qui sépare les éléments constitutifs du peuple, discours médiatiques au premier chef, dont nous savons à quel point ils sont aujourd’hui les passe-plats des dominants.
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À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
À propos du ou de la co-auteur(e) :
Stéphane Haslé
Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.