Jean-Michel m’a écrit pour me léguer sa fortune
J’ai récemment reçu un courrier qui m’a chaviré le coeur par sa générosité naïve. Elle provenait d’une adresse inconnue mais fort sympathique reece.stanley@stu.kenton.kyschools.us : vous aurez noté l’effet Kiss Cool sur la fin. Vous savez comme je tiens l’empire américain dans mon coeur et je considère que David Lynch était une double incongruité aux États-Unis : il avait soutenu Bernie Sanders et réalisé Twin Peaks et Blue Velvet, revers pervers d’une société trop propre sur elle. Pour en revenir à la lettre, je vous la livre car elle est piquante de pieux sentiments.
« Bonjour/Bonsoir
Si j'ai voulu vous envoyer ce message, ce n'est pas un simple hasard.
Je tiens dans un premier temps à m’excuser pour cette intrusion dans votre vie même si j’avoue que cela est très important pour moi. Je m'appelle Mr Jean-Michel Dubouchet, né le 06 mars 1952 à Wissembourg en France. Je souffre d’un cancer à la Gorge depuis maintenant plus de 3 ans et demi et malheureusement, mon médecin traitant vient de m’informer que je suis en pleine phase terminale et que mes jours sont comptés du fait de mon état de santé assez dégradé. Je suis veuf et je n’ai pas eu d’enfant ce que je commence à regretter amèrement.
Au fait, la raison pour laquelle je vous contacte est que je souhaite faire don d’une partie de mes biens vu que je n’ai personne qui pourrait en hériter. J’ai presque vendu toutes mes affaires dont une entreprise d’exportation de bois et d’hévéa et une sidérurgie en Afrique où j’ai vécu depuis maintenant plus de 8 ans. Une grosse partie de tous ces fonds récoltés a été versée auprès de différentes associations à caractères humanitaires un peu partout dans le monde, mais surtout ici en Afrique.
Pour ce qui est du reste de la somme qui s'élève exactement à 3.510 000 € (trois Millions cinq cent dix-mille euros) présentement sur un Compte Personnel bloqué au sein de ma Banque Standard Chartered Banks, mon dernier souhait serait de vous en faire Don afin que vous puissiez investir dans votre secteur d’activité et surtout dans l’humanitaire. Je suis tout à fait conscient de ce que je compte faire et je crois malgré le fait que nous ne nous connaissons pas, que vous saurez faire bon usage de cette somme. Je vous prie donc de bien vouloir accepter ce legs sans toutefois ne rien vous demander en retour si ce n’est de toujours penser qu’à faire le bien autour de vous, ce que je n’ai pas su faire durant mon existence.
Ceci dit, étant assuré d’être tombé sur une personne responsable et surtout de Bonne Foi, je vous demanderais de bien vouloir me recontacter au plus vite afin de vous donner plus amples explications sur les motifs de mon geste et sur le déroulement des choses. Veuillez me contacter dès que possible si vous êtes d'accord pour mon offre. Que Dieu soit avec vous !!!
Je vous prie de me contacter via mon adresse e-mail : jeanmicheldubouchet9@gmail.com
Que la Paix et la miséricorde de Dieu soient avec vous
Mr Jean Michel Dubouchet »
Devant toute cette générosité, j’ai donc répondu à ce brave homme visiblement aveuglé par l’agonie :
« Cher Monsieur Dubouchet,
Je tiens tout d’abord à vous féliciter pour votre orthographe tout à fait remarquable pour ce genre d’arnaque. Vous avez simplement une propension à mettre des majuscules un peu partout dès que le mot vous semble important. Sachez que c’est inutile et énervant. Tout comme ce « ceci dit » parfaitement déplacé parce que c’est « cela dit » qu’il fallait écrire. Voilà termine une proposition quand voici en annonce une autre.
Cela étant dit, vos origines wissembourgeoises sont tout à votre honneur. J’ai moi-même des neveux qui vivent en Alsace et je les aime bien. L’un d’eux est encore célibataire et vis sans bourgeoise, ce qui, vous l’avouerez rend notre rencontre des plus cocasses.
Votre cancer à la gorge m’attriste et je compatis. J’ai moi-même souffert il y a quelques mois d’une quasi extinction de voix et je comprends votre désarroi à ce sujet. Cependant, ne croyez pas trop les médecins : ils sont souvent alarmistes, surtout les cancérologues qui sont nés sous un mauvais signe du destin et voient le mal partout et notamment dans mon colon qu’ils cherchent régulièrement à inspecter depuis que j’ai 50 ans. Votre mal de gorge va bien finir par passer. Un peu de miel d’acacia dans une tasse de lait chaud, trois fois par jour, et ça devrait passer assez vite. Je suis confiant.
En revanche, mon cher Jean-Michel, je suis atterré par votre manque de renseignements à mon sujet.
Dieu et moi-même nous tenons respectivement à distance et je n’ai que faire de sa miséricorde si ce n’est que je trouve le mot joli. Je ne suis pas ce qu’on peut appeler une bonne personne. Je me fous régulièrement de la gueule du monde et je ne serais pas surpris si certains me traitaient d’enfoiré quand j’écris à leur propos. Je n’ai en outre pas un caractère très humanitaire contrairement aux associations que vous avez financées.
La somme que vous me proposez est considérable mais je me refuse à la considérer car dès la semaine prochaine, votre soi-disant cancer ne sera plus qu’une mauvaise plaisanterie et vous aurez alors à coeur de récupérer vos entreprises en Afrique pour continuer à exploiter la population locale comme vous l’avez fait depuis de si longues années. Le bois, le caoutchouc et les métaux rares sont des valeurs sûres et je vous félicite pour votre flair. Quelques-uns de nos ministres de l’économie pourraient effectuer un stage des plus bénéfiques à vos côtés.
Quant à Libres Commères, le média n’a pas de gros besoins vu que contrairement à vous qui sous-payez vos employés, je ne rémunère pas du tout mes équipiers.
Voilà. Je pense que nous nous sommes tout dit. De mon côté en tout cas.
Je vous prie d’agréer, mon très cher Jean-Michel, le parfum de mes sentiments les plus capiteux.
Martin Gore
PS : si toutefois vous persistez dans votre généreuse volonté, une amie de Brad Pitt est en ce moment même dans le besoin et votre don lui procurerait, j’en suis persuadé, un profond réconfort. »
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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