Appels manqués
Premier trimestre.
Je compose le numéro… et tombe directement sur ce message vocal « Bonjour, vous êtes bien au centre hospitalier de Dole, pour joindre un patient dans sa chambre, prononcez patient. Sinon, merci de prononcer simplement le nom du service ou de la personne que vous voulez joindre.
- Maternité ».
Nouveau message vocal : « Vous êtes 4ème sur la liste d’attente (…3 min….), vous êtes 3ème sur la liste… Après 11 minutes d’attente, j’entends le BIP BIP BIP de la fin d’appel. Mais je suis persévérante, je le veux ce rendez-vous et pas demain, aujourd’hui ! Je réussis, après 45 min à joindre le secrétariat.
« Bonjour, mon médecin traitant m’a dit de vous appeler et m’a demandé de réaliser une échographie de suivi de grossesse.
- Quel est le premier jour de vos dernières règles ? (…) Nous avons de la place mi-décembre », me répond une voix féminine.
- Ah… , réponds-je gênée. En fait, nous ne savons pas encore si nous gardons ou pas le bébé, et j’aurais besoin d’une échographie de datation pour connaître notre délai de réflexion.
- C’est vous qui m’avez demandé une échographie de suivi de grossesse, il faut mieux vous exprimer !!! ».
Je m’excuse alors platement, en expliquant que j’ai repris les termes du médecin, tout en me questionnant sur ce qui justifiait tant d’agressivité.
« J’ai une place jeudi matin pour l’échographie et je vous place un rendez-vous l’après midi avec l’infirmière. Vous devrez emmener le certificat avec vous !
- Le certificat ?
- Bah oui, le certificat de demande de fin de grossesse !
- Mais…. Mais… Mais… nous n’avons encore rien décidé… mon médecin m’a dit que je devais simplement réaliser une échographie de datation et reprendre rendez-vous avec lui pour m’expliquer les différentes formes d’IVG… je ne sais pas du tout où j’en suis actuellement et aucune décision n’est prise…, tentais-je de balbutier.
- Votre médecin n’y connait rien ! C’est comme ça que ça se passe ici ! »
Je raccroche, résignée à demander ce bout de papier et en tentant de combattre les questions et l’angoisse qui me submergent. Ça veut dire que c’est fini ? Le choix est fait malgré moi ? La grossesse doit s’arrêter ? C’est la secrétaire de mon médecin qui réussira à m’apaiser en me rappelant que je peux dire « non » jusqu’à la dernière seconde, tant qu’aucune pilule n’a été avalée.
Le jeudi, la gynécologue que je rencontre m’enjoins d’annuler le rendez-vous avec l’infirmière, celui-ci étant proposé pour fixer la date de prise de médicament et que dans mon cas, il me restait encore 3 semaines avant de prendre cette décision.
« Bonjour, vous êtes bien au centre hospitalier de Dole, pour joindre un patient dans sa chambre, prononcez patient. Sinon, merci de prononcer simplement le nom du service ou de la personne que vous voulez joindre.
- Maternité… Allo, je souhaiterais prendre rendez-vous pour une échographie de suivi de grossesse.
- Ça sera une échographie de datation, elle doit se faire deux mois après le début estimé de grossesse. J’ai une date lundi, en consultation privée.
- C’est-à-dire ?!
- Vous devrez avancer les frais et seule une partie sera remboursée. L’autre date est une consultation publique mais trop tardive par rapport au début de grossesse. »
Je raccroche et en parle le soir avec le futur papa. Il m’explique qu’il veut s’investir dans la grossesse et qu’il ne pourra pas être disponible lundi et me propose d’appeler le lendemain.
« Bonjour, vous êtes bien au centre hospitalier de Dole, pour joindre un patient dans sa chambre, prononcez patient. Sinon, merci de prononcer simplement le nom du service ou de la personne que vous voulez joindre.
- Bonjour, j’appelle pour savoir si l’échographie de datation est bien obligatoire sachant que j’en ai fait une il y a deux semaines, et quand je regarde sur Internet (site de l’assurance maladie) je lis que trois écho sont obligatoires. Si c’est le cas, est-ce possible de décaler pour que je puisse bénéficier des prestations du service public et que mon conjoint puisse être présent. Y a-t-il vraiment une importance à ce que la datation soit faite au jour près ou le délai de 8 jours est possible ?
- Ah mais Madame, votre première échographie n’était pas du tout réalisée dans le même contexte ! On dit toujours aux patientes de ne pas lire ce qui est écrit sur Internet, c’est la base, Madame !
- D’accord, j’entends. Mais est-ce qu’elle est obligatoire quand même et si c’est le cas, est-ce que je peux la décaler ?
- Vous vous compliquez bien la vie avec toutes vos questions. »
Et là, je me dis qu’effectivement, je dois être vraiment débile. Ça semble tellement logique à cette personne au bout du fil… En tout cas, je ne comprends toujours pas en quoi la datation sera de meilleure qualité à 2 mois par rapport à 2 mois et 8 jours. Sachant que la première échographie permettait de déterminer la date de début de gestation à 6 jours près et que cette nouvelle écho permettra de réduire la marge d’erreurs de 3 jours.
« Je ne comprends pas, vous avez d’autres enfants pourtant. »
Je me découvre alors des maternités inconnues… Je lui explique que non.
« Bah si, c’est écrit dans votre dossier ! (…) Ah non, ce sont vos dates d’opération. »
Ouf !!! Déjà que je ne m’attendais pas à cette grossesse, alors si en plus trois enfants inconnus devaient débouler chez moi… Bon, ça m’inquiète quand même… est-ce que ça veut dire que si on a déjà été enceinte une fois, on n’a plus le droit ou la capacité d’avoir de la jugeote ? Est-ce que la grossesse grille les neurones à ce point-là ?!
Devant les attaques incessantes de mon interlocutrice qui me fait bien comprendre que mes questions la font chier et qu’elle ne sera pas en capacité de m’apporter des informations claires, je lui demande d’employer un autre ton.
« En même temps, c’est vous, vous restez sur vos positions à me parler d’Internet. C’est votre choix de prendre une consultation dans le privé ».
Je réfrène un hoquet de surprise.
« Je vous rappelle que je n’ai pas eu le choix et que justement, je souhaiterais exercer mon droit d’avoir accès à des soins pris en charge par l’assurance maladie.
- Ah oui… Que voulez-vous, c’est comme ça. Vous travaillez dans la santé, vous savez bien comment ça se passe. »
Nouvelles questions qui me submergent. Parce qu’on est professionnel-le-(s) de santé, il nous est interdit de poser des questions ? Nous devons tout savoir ? Ou au contraire, surtout ne rien dire pour ne pas soulever d’éventuels problèmes ?
Voyant que j’avais à faire à quelqu’une peu encline à la discussion, à la bienveillance et à l’empathie, je soumets l’idée de mettre fin à cette conversation tout en acceptant, à contre-cœur, ce rendez-vous lundi.
« Si vous n’êtes pas satisfaite, vous pouvez contacter d’autres maternités ».
Nous nous adressons alors un au revoir empli d’amertume. Et avant de raccrocher j’entends au bout du fil… « Mais c’est quoi, cette femme… »
BIP, BIP, BIP
Comme dit plus haut, je travaille dans la santé, et pense être plutôt blindée. Mais comment une personne en situation de vulnérabilité du fait de son jeune âge, d’une grossesse consécutive à un viol ou compliquée par des problématiques médicales… peut vivre une telle agressivité sans s’effondrer ?
Aujourd’hui, j’ai décidé de faire de cette histoire un article, pour entamer ma thérapie. Mais je me questionne. Comment, des personnes qui travaillent dans un service qui accueille la vie, les premiers cris, les premiers pleurs, les premiers sentiments d’amour qui prennent aux tripes, mais aussi, les angoisses, la douleur, les dilemmes… peuvent être à ce point froides, hautaines, amères ? Jusqu’alors, j’aurais tenté de trouver des excuses, remettant la faute sur leurs conditions de travail, la maltraitance institutionnelle qu’elles devaient subir… mais là… émotionnellement, je n’y arrive pas ! Peut-être que certaines personnes sont tout simplement… humainement incompétentes !
Sarah Kroch.

À propos de l'auteur(e) :
La Rédac'
Donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, voilà une noble cause ! Les articles de la Rédac' donnent le plus souvent la parole à des gens que l'on croise, des amis, des personnalités locales, des gens qui n'ont pas l'habitude d'écrire, mais que l'on veut entendre...