Encore un petit effort pour franchir la barricade
Elle s’appelle Marlene Engelhorn. Elle est autrichienne, elle a 32 ans et elle vient de publier L’Argent, ce qui lui vaut d’être interviewée par Basta! Marlene Engelhorn est à l’origine de Tax me now : « Nous sommes une initiative de personnes fortunées des pays germanophones qui s'engagent activement pour la justice fiscale ». Ah bon ? Et de quoi j’me mêle ?
Marlene Engelhorn descend de Frédéric Engelhorn, le fondateur allemand de Badische Anilin und Soda-Fabrik, BASF si vous préférez, l’une des plus grosses boites chimiques du monde à qui on doit les premières bandes magnétiques en plastique (les K7 audio, vous y êtes?) dès 1932. Allemagne, années 30, chimie. Vous commencez à flairer l’embrouille ?
En 1925, BASF intègre le consortium IG Farben avec Bayer et Hoechst qui participeront tous activement à l’industrie de guerre nazie jusqu’à ouvrir une usine à Auschwitz pour livrer à la SS le fameux Zyklon B qui a servi à gazer des centaines de milliers de déportés. En 1945, le groupe est démantelé par les Alliés mais reconstitué en 1952 notamment avec d’anciens SS, techniciens zélés s’il en fut. La dénazification à l’ouest n’a pas eu lieu car l’Occident libéral avait besoin de cadres pour assurer la croissance de l’industrie et l’amélioration du niveau de vie afin de faire rempart au péril communiste.
Résultat : la grand-mère de notre petite héritière, Traudl Engelhorn-Vechiatto, qui a épousé un des arrière-petits-fils de Friedrich Engelhorn, était à la tête, selon Forbes, d’une fortune de 3,8 milliards d’euros en 2022, année de son décès. Comment un des actionnaires historiques d’une entreprise carrément nazie, probablement nazi lui-même, a-t-il pu conserver une telle fortune après la chute du IIIe Reich ?
Toujours est-il que Marlene Engelhorn hérite de 25 millions d’euros, un joli paquet de blé dont elle décide de ne garder que 10%, soit tout de même 2,5 millions, bien au-delà de ce que les prolos comme nous gagnent en une vie.
Marlene Engelhorn trouve en effet que ce type d’héritage est injuste. Elle organise même une assemblée citoyenne qui répartit les millions entre 77 organisations d’intérêt général. Quel esprit démocratique !
Avec Tax me now, Marlene Engelhorn aimerait changer la mentalité des super riches pour qu’ils redistribuent une plus grosse partie de cette fortune que, selon elle, ils n’ont pas méritée. C’est très gentil de sa part mais pour être franc, Marlene Engelhorn a encore du chemin à faire pour rejoindre l’autre côté de la barricade. D’ailleurs, malgré toute sa bonne volonté, ses origines la trahissent : « C’est pourtant ça la démocratie : créer un système dans lequel tout le monde est soumis à un pouvoir qui décide ce qui est dans l’intérêt de la majorité, tout en protégeant les minorités. » Marlene Engelhorn s’apprête à sauver la minorité richissime au pouvoir et le capitalisme. Alors que ce dernier montre actuellement son visage le plus repoussant avec Bezos, Weinstein, Musk, Arnault ou Gates, la jeune héritière propose à tous ces mauvais payeurs de s’amender en s’acquittant de beaucoup plus d’impôts. On n’aurait plus ensuite qu’à leur dire merci, tout en continuant à avoir envie de leur ressembler uniquement parce qu’ils ont l’air cool, qu’ils respirent la réussite et qu’ils paient leurs impôts.
Nan, Marlene, vous êtes à côté de la plaque. C’est du modèle capitaliste lui-même qu’on doit dégoûter les jeunes générations. Même réglo, un capitaliste reste un prédateur. Même généreux, un héritier reste un enfant du capital. Alors, ne vous mêlez pas de notre lutte. Intéressez-vous plutôt à l’émancipation des filles à papa. C’est votre rayon !

À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.