La mort dans l’assiette
La ministre de l’agriculture Annie Genevard et l’obscur Benjamin Haddad, factotum à l’Europe, ont visité le 23 mai dernier la Maison du comté de Poligny et une exploitation laitière, située à une encablure de la ferme d’Anne et Vincent Perrin. « L’opportunité était livrée sur un plateau » pour notre copain porcher militant. Il a donc décidé d’interpeller « visuellement et auditivement » les deux ministres. Ah, il avait avec eux Piotr Serafin, le commissaire européen au budget : les malfrats se promènent toujours en bandes. Vincent n’est pas du genre à avoir froid aux yeux. Il prépare sa bâche noire à la bombe rouge et verte : « Du Jura à Varsovie pour nos enfants pour nous paysan-nes, + de revenus, - de pesticides, non PPL Duplomb », de sa propre initiative sans étiquette syndicale ni politique, juste en paysan inquiet qui tente d’informer. « Ma cloche au son du terroir aura été sûrement la seule interpellation qui aura réussi ». La suite était prévisible, la gendarmerie et le service de protection des ministres lui sont tombés dessus. Obligation d’enlever la bâche, contrôle d’identité, contrôle du véhicule, puis audition en gendarmerie, en tout, 18 gendarmes pour un seul homme. Le lendemain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Vincent se rend sur la page FB de la députée Gruet qui nous a encore gratifiés d’une de ces vidéos musicales concons dont elle a le secret. Il commente et on le censure. Voici donc son message : « Nous ne sommes pas dupes et ce qui fait la catastrophe agricole contemporaine est bien le revenu qui manque et non pas toute cette mascarade médiatico-politique de rendre la liberté de travailler. Mesdames, je pense à cette heure ici au bonheur que j’aurai aujourd'hui en regardant mes enfants dans les yeux et qu’un jour je leur expliquerai que vous n’aurez sans doute pas connu ce bonheur par votre action politique et ce qu'elle sous-entend pour leur avenir sanitaire. Le temps passe vite mesdames le compteur de mes 70 heures/semaine vient de redémarrer, je file travailler pendant que tout le monde dort encore ! » Il est lyrique, Vincent, et il croit encore à l’humain et il est poli. Je n’aurais sans doute pas pris de gants pour dire aux deux dames : « Merci pour la loi Duplomb ! Ça devrait régler l’affaire des soins palliatifs : pesticides pour tous ! C’est ma tournée ! ».

À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.