Mode sombre

On ne prête qu’aux riches? C’est faux, archi-faux! Et ce serait très con, n’en déplaise à Tristan Bernard qu’on a connu plus inspiré et qui écrivit « On ne prête qu'aux riches et on a bien raison, car les pauvres remboursent difficilement. » Que les pauvres aient du mal à rembourser, l’usurier bien décidé (mais pas trop pressé) à s’en mettre plein les poches s’en fout et il a même tout intérêt à leur prêter du pognon à un taux élevé sur un long terme. 

Les petits revenus sont la cible idéale: trop contents de ne pas avoir à rembourser dans l’immédiat, ils acceptent des conditions très défavorables que le prêteur fait passer pour une faveur. « Rendez-vous compte, Monsieur et Madame Ramier, avec ce taux très intéressant de 1,36%, les 100 000 euros que vous m’empruntez aujourd’hui et que vous m’aurez remboursés dans 20 ans ne vous coûteront en définitive que 507 euros par mois. » Et ça passe parce que les 18 162 euros d’intérêts que les pauvres bougres verseront au bailleur de fonds sont dissimulés derrière le petit nid à la campagne dont Monsieur et Madame Ramier rêvent depuis si longtemps et qu’ils ne pourraient s’offrir sans emprunter la somme à un généreux prêteur qui leur fait une faveur. 

Et je vous fais grâce des crédits à la consommation, des crédits revolving, les propositions de financement, les regroupements de crédits et de toutes les arnaques qu’on reçoit par pelletées entières dans les boites mails.

Le capitalisme a besoin de l’endettement du plus grand nombre pour survivre et surtout pour faire croitre le capital, ce qui est inscrit dans son ADN. On l’a bien vu avec l’affaire des subprimes en 2008. Décidées à continuer de gagner du pognon à tout prix, les banques ont prêté des sommes excessives à des gens insuffisamment solvables à des conditions particulièrement risquées. Et je vous passe les taux usuraires qui ont mis les Grecs à genoux… sans mentionner les agios criminels. Les capitalistes prêtent donc aux pauvres pour faire travailler leur argent tout seul sans même avoir à s’emmerder à les employer. 

Dans la Rome antique, mais aussi à Athènes avant Solon, on a pu devenir esclave pour dettes et ça continue au Népal, en Inde ou au Pakistan. En Occident, à l’heure actuelle, la dette n’asservit pas à proprement parler: elle rend dociles les plus rebelles et travailleurs les moins enclins à suer du burnous. La dette est avec le chômage le plus sûr moyen de réduire les masses au silence, de génération en génération. A l’échelle planétaire, cela enchaine des nations entières au FMI, à la BCE et autres Shylock (grippe-sous shakespearien) de l’ultralibéralisme. 

On ne prête donc pas qu’aux riches parce qu’une fois le prêt remboursé, l’obligé est libre. Le remboursement intégral est désobligeant (le jeu de mot était trop tentant) pour l’ex-débiteur et … pour le créancier qui perd la main. Si le système nous pousse tant dans les bras du crédit, ce n’est pas au nom de la libre entreprise mais par souci de coercition, de contrainte. On soumet ainsi d’autant mieux celui à qui on accorde une faveur: prêter un argent dont on ne sait que faire (ou qu’on crée de toutes pièces pour l’occasion) ne coûte rien et rapporte du pouvoir à ceux pour qui on écrit la loi. Pourtant il fut une époque où prêter de l’argent avec intérêt était interdit aux chrétiens. Les temps ont bien changé. On en viendrait à regretter l’Église d’avant la Réforme.

Oh… bien sûr! vous me direz, y a un sens plus figuré et crypté à cet adage selon lequel on n’accorde du crédit qu’à ceux qui ont du répondant autre que numéraire, une sorte de culpabilité d’office. Le Wiktionnaire cite, non sans humour noir, l’exemple du massacre des officiers polonais à Katyn qu’on a collé sur le dos des Nazis jugés à Nuremberg alors que c’était les Staliniens qui avaient fait le coup. On ne prête qu’aux riches comme on charge le salaud de service d’un méfait supplémentaire, Nestlé d’une OPA sur l’antarctique ou Muriel Pénicaud d’un diplôme en psychologie clinique. Dans ce cas-là, on ne prête qu’aux quiches. Qu’on se le dise et qu’on nous lise! 

 

Le « Dézingage des produits doxiques » déconstruit à la truelle les dictons et les expressions usuelles parce que se niche en eux la pensée dominante et bête.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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