Répar’toi-même chez le géant du bricolage
La lecture du canard local fait partie du rituel de mes vacances à Dinard, sur la côte nord de la Bretagne. Ô lecteur, garde ton sang-froid, je ne vais dans cette station balnéaire huppée et un peu snob que parce que ma belle-mère y réside, et encore… elle vit à Saint-Enogat, quartier historique de Dinard où ça craint pas trop, si ce n’est que le clan Pinault possède un bastion à quelques minutes de là. Et pour en revenir à Ouest-France, je suis tombé par chance sur un entrefilet annonçant que Répar’toi-même serait présent dans le hall de Leroy-Merlin le lendemain même de 15h00 à 17h00. Y avait même un numéro de téléphone, un mail et un site.
J’y apprends que Répar’toi-même est une asso qui date d’avril 2016. Elle est basée à Saint-Jacut-sur-Mer, dans les côtes d’Armor, à quelques kilomètres de Dinard, plus à l’ouest. Son projet est on ne peut plus clair : « Faire durer le matériel et redonner vie aux appareils en panne en offrant gratuitement les moyens et l’aide nécessaire pour réparer soi-même. » Et l’avertissement sur la page d’accueil est tout aussi net : « Attention : Répar'toi-même ne remplace pas un artisan mais vous apprend à faire la réparation ! » J’y suis donc allé, d’autant plus curieux que leur présence à Leroy-Merlin (du groupe Mulliez, grosse grosse fortune française) m’intriguait un peu.
A peine entré dans l’immense magasin de bricolage, je tombe sur l’atelier, spacieux, très clair et bien en évidence : Leroy-Merlin y fait des animations et après Répar’toi-même, à 17h00, c’est un atelier bricolage entre filles. Ça m’aurait bien dit ça aussi, le bricolage entre filles. Mais bon… Le coup de fil préalable m’a bien dit qu’ils seraient plusieurs membres de l’asso et de fait, ils sont déjà deux à s’affairer autour d’un aspirateur poussiéreux et d’une machine à café sous les yeux des propriétaires presqu’aussi inquiets que si c’étaient leurs animaux de compagnie à l’agonie. «Notre histoire, elle est très simple, raconte Daniel en cherchant le bon tournevis, on est une bande de copains. On fait partie de pas mal d’assos écologiques et on s’est dit : il faut faire des choses concrètes et pas se contenter d’avoir des belles idées. Quand j’allais à la déchetterie, on voyait systématiquement des gens qui venaient avec une cafetière, un aspi, un machin sur lequel il n’y avait que dalle. Une heure de boulot, puis c’était réparé et les trois-quarts du temps sans même acheter de matériel, juste en faisant de la réparation de fortune. » En 2016, les copains montent donc leur asso. Le plus compliqué au départ, ça a été le local. Pas simple d’en trouver un. « Il faut qu’on ait un atelier où on puisse stocker du matériel et accueillir des gens facilement. » La mairie de Saint-Jacut est d’abord emballée par le projet et prête a priori à lui faire une place dans les ateliers municipaux mais une fois les statuts de l’association déposés, là voilà qui traine des pieds. Même la pose d’un simple Algeco, une construction modulaire, devient une affaire d’état malgré une fois encore un accord de principe. Répar’toi-même se tourne alors vers le magasin Leroy-Merlin de Pleurtuit.
Le directeur s’est montré d’emblée très intéressé : « Je vous prête un local, je vous passe un peu d’outillage à disposition, je vous en donnerai éventuellement un peu quand vous aurez votre atelier à vous. » La contrepartie, c’est une animation gratuite. Pour Daniel et ses amis, c’est du gagnant-gagnant. Ils commencent avec une permanence tous les vendredis, puis en alternance avec Ploubalay. « On a préféré étaler sur la semaine pour des raisons de time-in et de disponibilité des gens qui animent. On a maintenant trois permanences dont une de 18h00 à 20h00. Ça permet aux gens qui travaillent d’être plus facilement disponibles. Et on avait jusqu’à présent un atelier le samedi matin à Trélat, près de Dinan. Il y a un petit café associatif. Le village était mort et la municipalité a décidé de rouvrir le bistrot pour recréer du lien social. Ils y font des concerts, des cours d’espéranto, des animations et tout ça basé sur le bénévolat. Tous les deuxièmes samedis du mois, on organise des animations chez eux et en plus, on fait des ateliers à thème, sur le vélo, sur l’utilisation d’un contrôleur universel pour détecter des pannes. » Dans ce coin de la Bretagne, les vieux vélos qui ne servent que l’été ne manquent pas et réparer une bicyclette, c’est dans les cordes d’à peu près tout le monde. « Le but de la manœuvre, continue Daniel, ancien prof de math et principal de collège à la retraite, c’est d’apprendre aux gens à faire. Mais de temps en temps, y a des gens qui ont deux mains gauches ou qui se lancent dans un truc qu’ils ne savent pas faire. Ou alors, c’est l’inverse, il y en a qui voudraient se lancer mais ils ont la trouille : l’exemple typique, c’est celui qui a pété la vitre de son i-phone. C’est très facile à faire mais il faut être hyper-minutieux, ne pas faire ça à l’arrache sinon ça se termine mal. Le but, c’est donc d’apprendre aux gens à faire mais ce n’est pas toujours possible. On a eu aussi des gens qui sont arrivés, qu’on a menés par la main pour les aider à faire des trucs et puis qui nous ont dit : je veux bien vous donner un coup de main mais dans certains domaines parce que là, j’ai des compétences.»
Daniel cite l’une des adhérentes qui est venue faire réparer une vingtaine d’appareils avant de leur annoncer qu’elle s’y connaissait en machines à coudre et qu’elle savait notamment les régler. Une aubaine car les réparateurs de machines à coudre ne courent pas les rues et de nos jours, la main d’œuvre coûte bonbon : la réparatrice a ainsi remis en fonction trois machines à coudre en l‘espace d’une soirée. Ils sont à présent une dizaine de réparateurs plus ou moins pointus.
Le dernier recruté en date vient d’entrer dans l’atelier. Ancien bénévole à la Croix-rouge et pompier volontaire, Lionel a eu peur de s’ennuyer pendant sa retraite et aider à réparer des appareils électro-managers lui a semblé dans ses cordes. D’ailleurs, une dame vient de lui présenter un petit radiateur électrique qui ne lui résiste pas longtemps. Il s’agit toujours d’avoir la bonne tête de tournevis car les constructeurs poussent le vice assez loin : sur les quatre vis, la dernière est d’un modèle légèrement différent. Il est loin le temps où c’était plat ou cruci. Les têtes se sont multipliées, torx, crucidriv’, et il faut le matériel adéquat. Ce qui n’est pas forcément le cas du bricoleur lambda.
Répar’toi-même ne s’occupe pas vraiment d’informatique et pas du tout de mécanique auto pour des raisons d’assurance et de responsabilité. Daniel insiste sur l’aspect « on aide mais on ne fait pas à la place ». Pas question de remplacer les artisans et surtout les garagistes. L’assurance est déjà le gros du budget (incendie, blessure) mais il est bien stipulé dans les statuts de l’association que celle-ci se dégage de toute responsabilité une fois l’appareil sorti de l’atelier.
En prolongeant la durée de vie des appareils, on pourrait penser que Répar’toi-même aurait dû rencontrer l’hostilité de Leroy-Merlin. Mais non ! « L’ancien directeur avait très bien compris, explique Daniel, que ce qui est intéressant, c’est de s’implanter dans son territoire, montrer qu’il a une image locale, écolo. » L’image de marque est importante pour cette enseigne qui a fait trembler la petite concurrence en s’installant dans le coin il y a cinq ans : l’argent que gagne le magasin avec les bricoles que l’association achète n’entre qu’à peine en ligne de compte dans cette bonne entente. « Mais ça fait venir du monde, ça fait connaitre le magasin, les gens regardent sur Internet les animations. Ça joue beaucoup sur l’image de marque qu’on donne du magasin et ça a tellement essaimé que j’ai eu des contacts d’autres magasins Leroy-Merlin de France. » Contre un peu d’outillage, un groupe électrogène et un espace d’accueil deux fois par mois, le géant du bricolage de Pleurtuit se donne un peu plus de vert encore sur l’enseigne. Ce n’est visiblement pas négligeable aux yeux de la direction qui n’envisage pas de changer de politique. Il faut dire que Daniel connait aujourd’hui tous les employés par leur prénom. Un peu moins le nouveau directeur. Mais personne ne comprendrait trop qu’on change des habitudes qui fonctionnent bien et qui s’intègrent bien dans les ateliers que Leroy-Merlin proposent à ses clients.
Répar’toi-même offre un service gratuit : on n’est donc pas obligé d’adhérer mais c’est « préférable » comme le sous-entend Daniel. Du coup, l’asso compte environ 250 adhérents à l’année. Cela couvre les frais de petit matériel.
Du côté de l’aspirateur, Fabrice est en carafe. Il attend que Daniel qui semble le référent sur le site en finisse avec la machine à café qui s’est remise à cracher de l’eau bouillante et vienne lui donner son avis sur le condensateur. Fabrice est un ancien de la marine marchande plutôt branché mécanique et il a animé il y a peu un atelier de matelotage dans un café associatif. « On était trente jusqu’à 1h00 du matin. Une soirée inoubliable. » Il me montre ce qu’il sait faire avec du bout, des nœuds marins, des pommes de Touline. La transmission de son savoir-faire lui tient à cœur et communiquer en faisant quelque chose de ses dix doigts le rend heureux.
Un seul point noir dans toute cette histoire : il n’y a pas de jeunes à s’embarquer dans toutes ces aventures associatives. Pourtant Nicolas Hulot est venu leur rendre visite à l’atelier. La notoriété de Répar’toi-même n’est plus à faire. Quand je parle des repair cafés à Daniel, il me dit qu’ils se débrouillent très bien sans eux et je sens bien que ce n’est pas la peine d’insister sur la question.
Si d’aventure, vous passez en Bretagne, le site est régulièrement mis à jour. http://www.repar-toi-meme.org
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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