Kit de survie, goût savon.
J’avais, il y a quelques jours, prévu d’écrire un truc sur toutes les consignes absurdes que les médias nous refilaient à droite à gauche. C’est vrai qu’on s’est bien marrés. Il ne manquait plus qu’une missive du gouvernement qui aurait dit un truc du genre :
"Veuillez tousser dans votre coude. Celui-ci doit former un angle supérieur à 45 degrés, auquel cas les gens de 10 cms de moins que vous, et ceux ayant la lèvre inférieure plus épaisse que la lèvre supérieure seront susceptibles de recueillir vos spores. Privilégiez les vêtements 90% coton. Moins de 7% d'élasthanne entraînerait des problèmes de sudations supérieures à la pression thermique, notamment si votre lessive ne contient pas d'agents décapsulateurs aéro dynamisés (Vérifiez sur l'étiquette l'agent SbO7vtrnskZp). Si toutefois vous devez rentrer en contact avec quelqu'un, votre menton devra être ajusté en fonction du degré d'inclinaison de la tête de votre interlocuteur. Plus de 20% doivent vous en séparer. Parlez-lui plutôt de dos, sauf si l'ambiance sonore est supérieure à 30% de votre capacité auditive (que vous pouvez mesurer grâce à la méthode d'auditivité relative et générale sur le site du ministère de la santé, accessible grâce à l'application téléchargeable avec la version IOS3 de la précédente mise à jour du système). Et surtout, ne paniquez pas".
Et puis, par devoir citoyen, suite au discours de Celui Dont Je Ne Veux Pas Citer Le Nom, on se sent investi d’un peu de sérieux. On s’attarde quelques temps sur le script en live, complètement délirant et amusant, on se paye une bonne tranche de rire et on se pose un peu pour réfléchir. C’est vrai que c’est plus facile d’en rire quand on n’a pas plus de 70 balais. Ou qu’on n’est pas impactés par la mesure de confinement qui touche nos petites têtes blondes/brunes/rousses/chauves/frisées.
On pense à nos ascendances et à nos descendances. A celles des autres. On se retrouve dans des petits stress communs à notre condition humaine. Et on questionne notre système, abimé, fragilisé, ravagé, par des décisions politiques allant à l’encontre du bon sens. On pense à nos services publics, à la situation dans laquelle se retrouve nos soignants déjà épuisés et débordés. Et cette crainte pour notre intégrité physique rappelle celle des attentats de Paris. À l’inverse du slogan qui disait “Sortez de chez vous ! Retrouvez-vous ! Célébrez la vie !”, on se retrouve cette fois à devoir rentrer dans nos maisons, un peu seuls, pour certains, très seuls.
Je lis en ce moment “Sapiens, une brève histoire de l’humanité”, où Yuval Noah Harari explique que c’est cet art de palabrer sur l’indicible, sur l’invisible, sur les concepts, qui a permit à Sapiens de développer une stratégie de conquête suffisante, parce qu’il a pu ainsi s’inventer des buts, créer des projections, pour stimuler l’organisation de ses troupes et développer des capacités cognitives essentielles à sa survie. Intéressant et capital, dans cette époque néo-liberale où tout est conçu pour que l’on pratique l’individualisme, le discours rationnel, mesuré, sans émotions, au service du grand capitalisme, de la productivité et de l’efficacité.
Alors partager sa bière au bistrot du coin, en évoquant quelques ragots, quelques “on dit”, quelques angoisses, loin des préceptes intellectuels, c’est paradoxalement ce qui permet d’avancer. “L’être ensemble”, ce grand soin de l’âme.
Il y aurait donc un équilibre à trouver entre rationalité, étayage scientifique, et laisser vivre, s’exprimer, ce qui animalement nous pousse à l’inquiétude.
Comment être ensemble tout en ne l’étant pas ? Confrontés au manque d’interlocuteur, où c’est une télévision qui nous parle dans nos salons ? Où celui qui tente de nous rassurer est le même que celui qui nous inquiète ? Celui qui nous blesse ne peux pas être celui qui nous soigne.
Donc non, je ne voulais plus trop rire. Je ne voulais plus trop faire un papier qui tournerait en ridicule tous ceux qui se soucient. Et les raisons concretes de se questionner. Mais je ne voulais pas écrire non plus un papier inquiétant. Les actualités mondiales nous donneraient chaque jour des raisons d’avoir le palpitant qui s’emballe. C’est un exercice que de travailler la paix intérieure dans un monde anxiogène ! Car je crois que c’est un rappel simple à ce que nous sommes : de simples mortels. Et qu’il est toujours possible de biaiser nos craintes. Nos ordis et nos téléphones nous ont permis d’être seuls tout en étant ensemble. Si ils sont un vrai carnage relationnel en temps normal, ils sont un soutien indéfectible pour les isolés (si peu qu'ils ne fassent pas partie des exclus numériques). Nous vivons dans une société qui a développé des protocoles et des accès sanitaires, des savoirs faires médicaux. Sans eux, nous serions tous ou presque déjà probablement morts. Réjouissons-en nous ! Nous ne pouvons qu’avoir et faire confiance. En nous, et aux autres.
Il sera bien temps, une fois cette crise passée, de s’insurger contre la longue liste des effets collateraux : le démantèlement des hopitaux, ce 49.3 scandaleux (et le mot est faible), de demander des comptes et de réfléchir en quoi cette école sur pause a pu permettre à notre gouvernement d’évaluer le fonctionnement d’une éducation nationale sans profs, par le télétravail, et la façon dont ils pourraient s’en servir pour argumenter encore des restrictions budgétaires et des suppressions d’emplois. Mais je m'égard sans doute.
Passées ces considérations toutes relatives et cet enfonçage de portes ouvertes, j’ai imaginé comment vous offrir un premier pas vers la légèreté. Depuis ma chaise de cuisine, le plaid sur les épaules.
Donc, petite suggestion grotesque et absurde : la série minimaliste d’Alain Bloch, narrée par Alain Chabat, et disponible sur Youtube, histoire de se marrer un peu, seul(e) ou en famille :
Les autres parties sont dispos au même endroit.
Prenez soin de vous, de vos enfants, de vos familles, de vos amis, de vos collègues, de vos voisins, de vos animaux. Profitez de ce temps de pause pour ceux qui y sont contraints !
Et pensez à aller voter aux municipales ! Ou pas ! Mais rappelez-vous que c’est dimanche afin de pouvoir faire ou pas, en conscience, le chemin jusqu’au bureau de vote. En tout cas, si vous y allez, emportez de quoi écrire. Car réaliser une vidéo en expliquant que des stylos à usages uniques seront proposés, sans enjoindre les électeurs à apporter le leur, ce n'est que du pur marketing pour nous vendre l'urne. Et ça ne mobilise en rien la conscience collective. Il serait temps que nos politiques grandissent. Et comprennent qu'ils n'ont pas le monopole du bon sens.
Bises à l’œil !
À propos de l'auteur(e) :
Katalyne Randoulet
Travailleuse sociale en rémission professionnelle. Militante de l'amour. Éprise de maïeutique et de poésie nocturne. J'ai arpenté tous les chemins. Et ils mènent tous au rhum.
Empêcheuse de tourner en rond.
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