Mode sombre

La direction d’Intermarché n’en finit pas, dans une pleine page du quotidien local, de remercier tous les « héros discrets » qui continuent de permettre à la grande distribution de faire son beurre au moment même où on nous annonce que, dans le Jura et ailleurs, les marchés ferment. C’est d’autant plus surprenant que sur celui de Dole en tous cas, y avait pas besoin de jouer des coudes pour acheter ses produits frais, souvent locaux. Mon petit doigt me dit (en temps de confinement aveugle, c’est déontologiquement permis ! ) qu’au Super U de Tavaux, les distances de sécurité n’étaient pourtant pas vraiment respectées ces dernier jours et qu’on traine son ennui dans les grandes surfaces faute de pouvoir marcher à plus de 500 mètres de chez soi à l’air libre.

Le merci était presque parfait

Et donc, Intermarché remercie l’héroïsme de toute une population sous le coup de l’union nationale et d’une surveillance en règle. Même moi qui ne mets jamais les pieds dans cet aérogare de la consommation, je me sens quelque part remercié : « Merci à ceux qui ne viennent pas ». Monsieur et Madame Inter ont vraiment pensé à tout le monde. Les planqués comme moi qui « télétaffent » sans mettre le nez dehors (je dois admettre qu’il est bouché depuis trois jours) et ceux qui « sont en première ligne », les grands acteurs du consumérisme triomphant et les petites mains à qui on ne fournit même pas d’équipement de protection efficace. 

Mais alors pourquoi tout ce débordement philanthropique aussi soudain qu’inattendu ? Pourquoi cette dégoulinade de reconnaissance envers toute la chaine alimentaire, du producteur au consommateur en passant par la nounou ? 

A qui profite le merci ? 

Le côté vicieux et hypocrite de l’affaire, c’est que  ces « héros discrets » n’ont pas vraiment le choix. Pas d’autre choix que de sortir dans les champs ou en mer pour céder le fruit de leur travail aux traders des centrales d’achat vu que la vente directe en circuit court se prend le confinement de plein fouet. Pas d’autre choix que de venir bosser dans les bases logistiques, dans les rayons et derrière les caisses car la « mission » alimentaire tient presque du service public en ces temps de solidarité forcée et que « si tu ne viens pas travailler, d’autres ne cracheront pas sur le boulot ». Pas d’autre choix que d’acheter des légumes en conserves, des plats surgelés et des baguettes industrielles à pleins caddies parce que se procurer des produits frais au grand air confine au marché noir et tient du parcours du combattant. Pas d’autre choix que de grossir le compte en banque des rouleaux compresseurs qui écrasent le commerce de proximité sans faire le détail.

C’est à croire que la direction d’Intermarché se sent coupable et prise de remords pour l’immense traquenard que nous tend le gouvernement et ses mesures d’une sécuritisation douteuses. Alors elle déguise sa réclame habituelle en remerciements tous azimuts pour mieux nous cacher que les marges sont toujours aussi confortables et que les profits n’ont pas faibli. « Merci à tous ceux qui n’ont pas le choix » aurait été un slogan plus juste mais moins vendeur.

 

 

 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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