Mode sombre

Franck Guillon est un de nos lecteurs, il a récemment laissé un commentaire sur Facebook, en dessous d’un de nos articles, nous informant qu’il fabriquait grâce à ses imprimantes 3D des visières à destination du personnel soignant, de particuliers, …

Nous avons pensé qu’il serait intéressant de nous pencher sur son initiative, et en général, sur le cas de ces « makers » qui produisent le matériel que l’État n’a pas su fournir.

 

NDLR : ici, « makers » fait référence à la communauté de personnes qui « bricolent », fabriquent, des objets, prototypes, etc, souvent à l’aide d’imprimante 3D, mais pas que… On leur doit les adaptateurs pour respirateurs applicables aux masques de plongée Décathlon, mais bien d’autres choses aussi...

 

L : Pourquoi avoir décidé de faire ça ?

F : Je me vois le soir où avec ma conjointe on a reçu un mail de 3Donline nous informant de ce qui se passait en Italie par exemple, où les makers fabriquaient des visières pour le personnel soignant, et nous invitait à suivre le mouvement en échange de bobines de fil gratuites pour l’imprimante. Je me rappelle bien avoir dit à ma conjointe : « Qu’est-ce que tu en penses si on se met à faire des visières ? ». Est-ce que ça va nous arriver à nous ? On a tous les deux de la famille avec des problèmes de santé, alors on s’est dit, si on peut déjà aider nos proches… C’est comme ça qu’on a commencé.

 

L : Où vous fournissez-vous en matière première ?

F : Tout d’abord, une bobine de filament, c’est environ 750gr, ça coûte 20 à 25€, et je peux en faire 200 visières. Au début, 3Donline, la petite boite belge qui nous avait contactés par mail nous proposait une bobine gratuite contre 8 visières imprimées, ce qui valait vraiment le coup, mais ils ont vite été débordés… Ensuite, on a eu quelques dons, mais heureusement j’avais un peu de came de côté, j’achetais ce qui manquait sur Amazon, comme les feuilles de papier transparentes. Une youtubeuse, Heliox, a lancé covid3d.fr, une plateforme style leboncoin qui met en relation les demandeurs et les fabricants comme nous, alors on s’est mis à prendre des commandes dessus et à produire.

 

Franck a toujours besoin de matière première, si vous avez notamment les fameuses reliures transparentes au format A4, des élastiques ou des bobines de filament, vous pouvez le contacter par mail via franckthierryguillon@gmail.com ou sur Facebook via sa page @In3DPress

 

L : Combien ça te coûte tout ça ?

F : Attends je calcule ! Bon, ça fait à peu prêt 35cts/visière, et quand j’ai les matières premières, j’en produis 200 par jour. Ce qui me revient à environ 70€ par jour. Ça fait quand même 200 personnes que je protège tous les jours ! Moi, je vois tout ça en terme de « vagues ». La première vague, ça a été le début de l’épidémie en France où la demande a fortement évolué pour les soignants principalement. Puis la deuxième, avec le prolongement du confinement, où les premières directives sont tombées et où les masques et protections commençaient à être recherchés par les gens qui travaillent ou les particuliers. Et enfin, la troisième vague, la plus lourde pour nous, c’est la préparation du déconfinement, où les particuliers et commerçants devront avoir des protections, et là, on a beaucoup de demandes.

 

L : Bon, tu as déjà commencé à me répondre du coup mais qu’est-ce que tu penses de cette gestion de crise ?

F : Déjà, au début, on a dû faire face à l’absence de protections dans les hôpitaux, pas de masques, pas de sur-blouses, etc. Aujourd’hui, on apprend que pour le déconfinement, les supermarchés vont vendre des masques qu’ils avaient stockés, bref, ils ne les ont pas refilés aux soignants alors qu’ils les avaient. Il y a clairement des entreprises qui ont profité de l’absence d’aide de l’État, d’encadrement de prix, et de la pénurie. Je bosse chez Bel et je leur avais proposé de faire les visières pour les 500 employés de la boite, malheureusement je suis arrivé trop tard, une boite carrément malhonnête leur avait demandé 1100€ pour 100 visières ! Soit quasiment 32 fois plus cher que ce que ça me coûte à fabriquer.

Pour résumer tout ça, je pense que tout le monde est paumé, particulièrement l’État qui n’a pas donné assez d’infos, ou qui se contredisait jour après jour. On a vraiment le sentiment qu’ils veulent dé-confiner pour que les parents retournent bosser, et donc que les gamins aillent à l’école. Mais est-ce qu’il y aura assez de protections ? J’ai fait des visières pour l’école de Chaussin justement.

Ce qui est le plus frappant, c’est que l’État est complètement absent. La plupart du temps, ce sont carrément des médecins, en leur nom propre et pas au nom de l’hosto, qui me faisaient des commandes car ils n’avaient pas de matos. J’ai proposé des visières à Dole, ils en ont pris quelques-unes mais ils voulaient surtout des adaptateurs pour les masques Décathlon (pour protéger les soignants), finalement, ils m’ont rappelé en urgence pour que je leur fasse des embouts pour respirateurs car Besançon venait de récupérer les leurs.

L : C’est le bordel à tous les étages quoi… On est début mai, et les institutions se réveillent seulement ! Tu as pas l’impression de bosser bénévolement pour combler les manques de l’État ?

F : Si c’est clairement ça !

L : Et la mairie de Dole, ils t’ont filé un coup de main ?

F : Ils doivent me rappeler, j’ai contacté les responsables de « Dole du Jura ». Je leur ai demandé si je pouvais avoir un endroit en ville où distribuer mes visières aux gens qui en auraient besoin, tout en respectant les mesures de sécurité.

L : Le budget Com’ de la mairie ne sert pas à grand-chose en ce moment, ils pourraient te financer les matières premières au moins ! Tu produis le matériel qu’ils sont incapables de fournir, le minimum, c’est qu’ils prennent en charge les frais !

F : Moi je veux pouvoir distribuer et produire, peu importe s'ils m’aident ou pas, mais c’est vrai que je serais pas contre ! Au total, j’ai reçu à peu près 300€ de dons (matériel, un pack de bières, des sous,…). L’État devrait avoir débloqué 75,000€ pour les Fab Lab (contraction de l'anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication » où du matos est à disposition) qui font un taf de fou et que je voudrais vraiment féliciter, mais c’est pas grand-chose quoi.

L : Okay okay… Merci de nous avoir partagé ton initiative !

F : Merci à vous !

 

Franck et sa compagne font donc partie de ceux qui ont pris l’initiative de remplacer l’État là où il était, et est encore, défaillant. Heureusement que ces makers produisent des protections, partout en France et ailleurs comme l’Italie et l’Espagne, car grâce à eux, des morts ont sûrement pu être évitées. Je rappelle qu’il cherche les fameuses feuilles A4 transparentes et vous invite à lui faire don si vous en avez qui traînent, tout comme les bobines de filament ou les élastiques (son mail : franckthierryguillon@gmail.com).

 

PS : Si nos copains de la Mairie passent par là, débloquez des fonds pour les initiatives locales comme celles de Franck, ça me parait la moindre des choses !

Résultat d'une journée de production


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À propos de l'auteur(e) :

Lucien Puget

J'ai toujours été intéressé par la politique et le fonctionnement de notre société. Au cœur des luttes sociales à mes heures perdues, j'aime me faire témoin des bribes de vie de vous autres les humains, et j'en tire mes doctrines de vie et quelques anecdotes amusantes...


Étudiant en informatique

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