Politique

Où l’on reparle de souveraineté nationale…

Publié le 31/07/2020 à 12:07 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 07m09s

J’ai eu quelques retours contradictoires sur l’allégorie du château-fort et notamment sur les adjectifs anallactique et synallactique. Je ne suis que moyennement surpris : les nouveaux termes en effraient certains qui préfèrent se raccrocher à des étiquettes plus connues sans parfois se rendre compte que chacun met derrière l’étiquette un concept différent. D’genre : république, démocratie, écologie, développement durable, liberté, souveraineté, nation… j’en passe et des plus obscurs. Mais les vocables anallactique et synallactique sont, je l’avoue, particulièrement exotiques, voire intergalactiques : Jean Gagnepain est allé les chercher dans l’arrière-boutique de son fond de grec ancien. Mais j’ai appris à aimer ces deux adjectifs qui me sont devenus fort pratiques. 

Et donc petit retour sur les trois manières d’appréhender l’Histoire, c’est à dire de se positionner face à l’évolution constante du monde et de traiter le flux incessant de faits innombrables. Oui, parce que l’Histoire, c’est ça : un flot ininterrompu de changements tous azimuts dans lequel on essaye de mettre de l’ordre et d’y voir un peu plus clair. Les études historiques nourrissent ainsi les perspectives politiques.

La première version possible de la politique, c’est le « c’était mieux avant ! ». Il faut donc agir pour que les choses n’évoluent pas puisqu’elles évolueront forcément dans un sens qui fragilisera l’organisation actuelle qui appartient de fait déjà au passé. C’est la tendance conservatrice qui refuse de considérer le flux historique comme inexorable. Stopper l’Histoire est cependant mission impossible : l’anallactique agit comme un frein qui ralentit le processus historique sans pouvoir l’arrêter totalement. Elle espère retarder l’inéluctable, c’est à dire la mutation du monde. 

Si vous décidez d’appeler votre enfant Marie, Pierre ou Marie-Pierre, ou Pierre-Marie, c’est vraisemblablement par référence familiale ou pour installer votre rejeton dans une certaine tradition culturelle. C’est aussi pour ne pas l’appeler Ali, Fatou, Dylan ou Candie.

L’Etat qui est l’institution par excellence tend spontanément à s’affermir et à imposer durablement sa puissance. On grave la constitution dans le marbre, la Loi dans les esprits, le patrimoine dans les livres d’histoire et de français. On enferme l’art au musée et les croyances à l’église ou dans les médias de masse. Tout pouvoir en place cherche à se fortifier dans l’exercice anallactique, à se poser en dogme inébranlable. Il freine l’érosion de son propre établissement. Et nous voilà revenus à l’image du château-fort.

Au passage, vous remarquerez combien de nos élus locaux se prénomment Jean-Machin ou Jean-Truc-Muche. Ça ne peut pas être tout à fait par hasard.

La deuxième option est la politique de l’accompagnement, voire de l’accélération : « Vivement demain ! » clament les zélotes du progrès à tout prix. Et nous voilà au coeur du modernisme, du transhumanisme, du scientisme, de la technophilie, de la disruption tous azimuts, de la révolution, des prénoms comme Jade, Mila, Ambre, Léna, Gabriel, Liam, Ethan ou Maël. La synallactique accélère le mouvement historique, elle prend les devants, anticipe, nous projète dans le futur et précipite les bouleversements.

Vous aurez sans doute envie de reconnaitre la droite dans l’anallactique et la gauche dans la synallactique mais comme l’Histoire suit son cours, le curseur entre les deux se déplace et celui qui hier encore était dans le camp progressiste se retrouve conservateur à son insu. A cause de cela, droite et gauche ne veulent pas toujours dire grand chose aujourd’hui sur des questions comme l’État, la souveraineté, la nation ou les frontières.

Révolutionnaire en 1789, la bourgeoisie libérale s’est aujourd’hui confortablement installée dans le conservatisme sur le plan économique : le mode de production, et le pouvoir politique qu’elle exerce grâce à ce contrôle lui conviennent et elle n’a pas l’intention de lâcher l’affaire. 

C’est l’attitude vis à vis des changements qui ne manquent jamais d’arriver qui détermine si une politique est plutôt synallactique ou anallactique, dynamique ou sclérosée. Mais les visées sont parfois tellement imbriquées qu’on se fourvoie dans des jugements hâtifs. Les colleurs d’étiquettes ont d’ailleurs beau jeu de taxer en bloc de « rouge brun » et de « confusionnistes », ceux qui les dérangent dans leur manichéisme pépère.

La gauche a longtemps été internationaliste : « Prolétaires de tous les pays… ». Or la mondialisation a été le fait du capitaliste libéral et pour Macron et Merkel, frontière et protectionnisme sont devenus des gros mots. Or sur ce point, l’Histoire est en train de basculer. La globalisation a atteint sa limite et l’idée de la relocalisation fait son chemin, sans oublier les circuits-courts qui nous ramènent à des pratiques médiévales mais empreintes de bon sens. Comment protéger la tomate qui pousse à côté de chez toi ? En empêchant celle qui vient de l’autre bout de la planète à entrer sur le marché local, pardi ! Ça se faisait au Moyen-Âge (pas pour la tomate certes qui ne débarque qu’au XVème siècle en Europe) et ça se fait dans l’Amérique de Trump. Contre l’invasion de la tomate chinoise sans goût, bon marché et socialement inique, le progrès pour la France est dans les barrières douanières. Synallactiquement, l’État prendrait de l’avance en taxant ces fruits insipides du sinocapitalisme qui arrivent en boite de concentré trafiqué. 

Dans une Union européenne qui part en couille, la conservation de l’Euro est anallactique quand la sortie des traités de libre-échange est synallactique. Ce qui était une fuite en avant dans les années 2000 n’est plus qu’un projet moribond 20 ans plus tard. Quand à l’idée de nation, révolutionnaire en 1789, elle va connaitre des hauts et des bas jusqu’à De Gaulle, avant de mettre un genou à terre devant l’Union européenne, l’Hymne à la Joie et tout le barnum. Il n’y avait guère que Lepen à draguer la Pucelle d’Orléans tous les premier mai. Or la nation est de retour, notamment avec les Gilets Jaunes, Onfray ou Todd. Faut-il y voir un effet réactionnaire ou le moyen synallactique de dépasser une contradiction historique? Est-ce une tradition surannée qu’on remet au goût du jour ou un concept qui retrouve tout son sens dans un contexte international qui a changé? Devant le marasme économique et social dans lequel nous entrainent les traités européens, la « réaction synallactique » prend le goût du « tous ensemble » et retrouver le sens de la nation qui intègrerait tous ceux qui vivent sur le territoire dans la quête d’un avenir en commun est aujourd’hui une priorité. Ce n’est pas un repli sur soi comme pourrait le laisser penser le contrôle des frontières souvent mal compris mais un recentrage des lieux de décision : la nation française, c’est avant tout la volonté de choisir ensemble notre destin commun et de ne plus laisser des élites aveuglées par l’européisme faire la loi à Bruxelles pour le bonheur des multinationales et au mépris de ceux qui font tourner la boutique. Et ce retour à la nation souveraine me permet d’introduire la choralité, la visée politique endocentrique où le devenir est un peu mis de côté au profit de l’être.

Cette dernière façon de faire de la politique consiste à penser que « Ça ira bien comme ça ! », non seulement penser (ça, c’est le cas plus particulier de la représentation) mais aussi agir sur le monde et être dans ce monde. La choralité, c’est la célébration, tous les rituels où le corps social se constitue pour le simple fait d’être ou se retrouve dans l’unique but de se sentir ensemble, c’est la fête de la solidarité, le festival des diversités, le concert des nations. En 1790, la fête de la Fédération avait cette fonction. En 1998, la coupe du monde black blanc beur avait recréé cet esprit. Et tous les choristes du monde, tous les supporters et tous les flash mobers savent de quoi je veux parler. Pas de revendication particulière sinon l’affirmation que nous sommes ce que nous sommes tout en refusant d’être ce que nous ne sommes pas. Ça ne fait pas avancer le schmilblick mais ça fait du bien d’en être. Se sentir exister ne tient parfois qu’à ça.

Si l’anallactique était le frein et la synallactique le champignon, la choralité pourrait être assimilée à un coup d’accélérateur au point mort : le moteur monte dans les tours, vrombit et ronronne, se donne à entendre sans pour autant propulser plus rapidement la voiture ni la ralentir. 

Pour nos amis cyclistes, je propose une version vélo. Synallactique, j’appuie sur les pédales. Anallactique, je serre le frein. Choral, je laisse filer le vélo en roue libre et je rétropédale pour le simple plaisir d’éprouver le plaisir d’avoir deux jambes.

La nation française a besoin d’un coup d’accélérateur, à la fois choral et synallactique car pour pouvoir à nouveau compter dans l’Histoire du monde, il va falloir que les Français retrouvent la fierté d’être une nation. Peu importe si nos parents ont choisi de nous appeler Lucien ou Elie, Malika ou Margot, James, Alison ou Charlie. On acceptera même les Kevin et les Sybeth s’ils se forcent un peu.

Christophe Martin

 

Et parce que je ne suis pas le seul à le dire, voici une tribune dans Marianne et une interview d’Emmanuel Todd.

 

https://www.marianne.net/debattons/tribunes/15-ans-du-non-en-2005-il-est-temps-de-remettre-les-pendules-l-heure-sur-ce-qu-est?fbclid=IwAR30SMa4uNM8yD4ExGCLd8ZbG9VHqcVULl34skPblix5zTrOTkQa1ssyAow

 

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/emmanuel-todd-le-souverainisme-rehabilite-par-la-crise

 

Et si vous avez un polichinelle dans le tiroir :

 

https://www.parents.fr/prenoms/nos-conseils-prenoms/quels-seront-les-prenoms-les-plus-donnes-en-2020-426758s




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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