Politique

Et que le meilleur gagne!

Publié le 15/11/2020 à 17:22 | Écrit par Elie Ben-Ahmed | Temps de lecture : 02m49s

Pour donner un écho contradictoire à la nostalgie de l’article « La Politique, c’était mieux avant »

 

Je n'aime pas les grands hommes. Non seulement ils sont plus petits de près mais quand ils se dressent, droits comme des charmes, ils ne peuvent s'empêcher de cacher le marais et ses aulnes tortueux. Il ne me plaît guère d'avoir vu les hommes politiques endosser le rôle d'acteurs, de sportifs : déjà dans la Rome antique, le patricien était aimé grâce à la qualité de son panégyriste, le plébéien par son éloquence. Celle-ci, quoique nécessaire à l'expression militante, est depuis trop longtemps l’apanage des grandes figures, domination par un outil que rien ne justifie qu'il ne soit pas accessible à toutes et à tous.

 

Plus tard, les républicains de la troisième République travaillaient beaucoup plus à leurs oratoires intéressés qu'au fondement de leur pensée. A l'exemple d'un Jules Ferry qui, non content de chier sur l'histoire révolutionnaire de la France en perpétuant la colonisation, tuera dans l’œuf la possibilité pour le peuple de se dire français autrement qu'en soutenant sa politique identitaire, détruisant par là-même l'espoir d'une France nation et non d'une France patrie. Dès le départ, dans la IIIème République naissante, nous pouvions sentir le fiel de la diversion. Tout cela se passe lors de l'avènement de la presse écrite et déjà nous y voyons les prémices de cette « sportivation » du débat public, avec ses commentateurs et ses équipes de supporters.

 

Du pain et des jeux. Les politiciens les plus appréciés ne seront pas ceux qui auront les meilleurs arguments, mais ceux qui sauront faire le meilleur spectacle, le meilleur scandale, en somme la meilleure diversion. Voici donc les grands hommes, avec leurs gros sabots, ceux qui écrasent la vérité dans la tourbe : celle d'un Mitterrand qui troqua la lutte des classes pour un anti-racisme infantilisant, celle d'un De Gaulle qui détruisit par l'intermédiaire de Debré et Malraux toute possibilité d'éducation populaire, et qui créa son ministère de la Culture, le troisième en Europe après celui d'Hitler et celui de Mussolini... Passons sur les exemples. La spectacularisation du débat politique, c'est signer la mort de la politique en cela qu'elle finit d'invisibiliser les violences et les douleurs de nos sociétés, mais ses espérances aussi. Elle acte la domination de la masse par quelques-uns, capture le langage, octroie le monopole du discours à des adversaires choisis dans une bataille perdue d'avance (Mitterrand et le « mur de l'argent »). Si tout n'est plus que strass et paillettes, punchlines, sorties de plateaux et portes battantes, les réalités sociales s'effacent et le capital s'en réjouit. Montrer, c'est aussi cacher.

 

Les « grands hommes » de l'après-libération n'ont fait qu'installer un terreau fertile responsable de la construction médiatiquo-politique actuelle, et ses dispositifs sont largement réfléchis par les travaux de Bourdieu (et d'autres). Il s'agit moins d'une régression que d'une extrapolation. A tel point qu'aujourd'hui, la propagande d’extrême-droite -pour l'exemple- ne se fait que sur le modèle diversion/invisibilisation, et en plus c'est marrant : je vous laisse apprécier la rhétorique des Papacito et autre Raptor Dissident qui cumulent aujourd'hui des milliers d'abonnés, des millions de vues, des étagères à la Fnac, des invitations à Sud Radio. Extrême-droite qui pour rappel a été en bonne partie installée, légitimée dans l'espace médiatique par un PS soucieux de diviser l'électorat du PC et secouer la droite avec le débat sécuritaire. D'une pierre deux coups, rien de nouveau sous le soleil.

 

Alors la nostalgie, très peu pour moi. Le regard que nous portons sur le passé se doit d'être sévère, intransigeant, sans quoi nous ne ferons jamais face au présent avec combativité et justesse, ni face à un futur qui ne nous permettra pas l'échec.




À propos de l'auteur(e) :

Elie Ben-Ahmed

Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.


Volontaire en sévices civiques

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