Qu’est-ce que j’peux faire?
Samedi 12 décembre, Libres Commères appelait à sa première manif… en coproduction avec la Cgt et pas mal d’autres collègues qui oeuvrent pour qu’on ne dise pas tous la même chose que la télé. Le temps était plutôt franchement môche et l’humidité a fini par bouffer notre stand portatif par en-dessous, signe sans doute qu’il est temps d’en changer. Malgré la gravité de ce qui est en train de nous tomber sur la gueule (les rabasses ne sont rien rien à côté), nous n’avons pas atteint la centaine de participants, signe qu’il est sans doute temps de changer de formule. Passons donc en revue ce qui ne va plus. On abordera ensuite ce qu’il ne faut pas jeter avec l’eau du bain.
A Dole, l’avenue de Lahr est un rendez-vous pratique: on y laisse sa bagnole avant de faire le tour de ville et de repartir. Mais c’est excentré, on s’y sent perdu. On n’a pas particulièrement envie d’y faire de vieux os, même par beau temps. Malgré la sono, les prises de parole se perdent un peu dans la vastitude du parking et moi le premier, j’ai du mal à rester attentif et à ne pas bavarder avec mes voisins pendant les laïus.
Ensuite le traditionnel tour en ville (tant redouté par le maire) manque un peu de peps. A part quelques invasions vraiment bruyantes et réussies avec les Gilets jaunes et un rassemblement pour le climat avec sifflets et pancartes créatives, les manifs doloises sont un peu plan plan: les organisateurs ont toujours du mal à assurer l’ambiance, sono ou pas. Il faut bien le dire à Dole, on n’a pas la fibre du slogan pour animer le cortège et il semble loin le temps où on beuglait « Président, un enfant! » avec les copines devant la mairie. Bref en tant que mouvement de foule chahuteuse, la manif ne fait plus recette à Dole. Le Progrès ne manque jamais de nous aligner sur la faible participation. 300 le 28 novembre et trois fois moins ce coup-ci. On ose à peine imaginer la mobilisation début janvier au lendemain des fêtes.
Maintenant, donnons-nous quelques raisons d’espérer. Ces rendez-vous périodiques permettent de se retrouver entre militants bien sûr, mais aussi avec des gens qu’on croise moins souvent. Et ça, il faut bien le dire, c’est irremplaçable! Je ne suis jamais triste en rentrant, pas toujours sec, de deux heures de déambulation urbaine papoteuse car je bavasse tellement en manif que j’en oublie souvent de reprendre les slogans en choeur. Et ce samedi, avec la carriole et le stand de Libres Commères, en queue de cortège, j’ai pas vu le temps passer, tellement occupé que j’étais à discutailler à droite et à gauche. Il faut donc me rendre à l’évidence : ce que j’aime dans la manif, c’est pas le défilé, ce sont les à-côtés, les rencontres, le plaisir de dire des conneries et d’être avec du monde. Pas pour regarder hypnotisé et béat le Père Noël qui descend en rappel de la Collégiale mais pour échanger avec les gens sur leur ressenti des dernières actualités. Alors que tout le monde s’était dispersé après le retour avenue de Lahr, les membres de Libres Commères tchatchaient encore avec des Gilets jaunes à propos de la dérive autoritaire et ça, rien le remplace. Pire (ou mieux en fait), c’est ce dont le gouvernement et ses préfets voudraient nous priver : l’occasion de se retrouver sur l’espace public pour dire qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’on cherche à nous faire avaler par les oreilles et en intraveineuse. Se rappeler les uns les autres qu’on n’est pas tout seul à se sentir impuissant mais pas complètement tout de même. Faire mouvement ensemble, se compter et se rassembler car les chapes de plomb ne résistent pas longtemps à la foule qui bouillonne.
Voilà donc le constat. « Qu’est-ce que j’peux faire? J’sais pas quoi faire! » répétait Anna Karina dans Pierrot le Fou. « Qu’est-ce que j’peux faire? J’sais pas quoi faire! » Qu’est-ce qu’on peut faire en dehors du web où ça se prend le chou à tout va et avant le couvre-feu total de 2021?
J’ai pas la prétention de résoudre ici le problème de la petite ville de province engourdie aux mains d’une municipalité bourgeoise fière de sa piscine et de ses décos ringardes mais alors que beaucoup de mes amis militants manquaient à l’appel, il faut se rendre à l’évidence et chercher d’autres formules plus fun pour faire chier le pouvoir.
La déclaration en préfecture est déjà une formalité à éviter. Le feu d’artifice de Lyon ne s’est pas embarrassé de la procédure pour faire péter la Marie du 8 décembre et pendant la Fête à Macron en 2017, on a improvisé quelques happenings vraiment rigolos dans le centre-ville de Dole sans demander quoi que ce soit à qui que ce soit.
A partir du 15 décembre, si j’ai bien compris, on sort sans laisser-passer auto signé jusqu’au JT de l’Élysée. Rien ne nous empêche de nous retrouver du côté des Commères samedi après-midi si la météo le permet, histoire d’envisager la suite. Gardez un oeil sur le web. Toi aussi, ami des RG, reste vigilant si tu ne veux pas finir vigile dans le privé sans garantie de l’emploi ! Il nous reste également des exemplaires du n°7 qu’on aura avec nous et Lucien et moi, on sera sans doute en ville en cette fin de semaine pour discuter le coup. Notre stand carton ayant pris l’humidité, on va chercher une nouvelle structure démontable à transbahuter. J’ai une piste, d’genre colonne Morris mobile. Je bricole.
Sinon, il va y avoir ce couvre-feu crétinisant tout droit sorti de l’imaginaire carcéral de Castanex le pion. Comme tous les mardis soirs, j’aurais été faire les cartons et à 20h00, je me demande si je ne vais pas me mettre à la fenêtre pour applaudir les patrouilles de police. Si j’ai une meilleure idée d’ici là, je vous fais signe.
Le speech du 12 décembre qu’à lu Lulu en notre nom:
Je représente Libres Commères, un média indépendant, associatif et local. Au journal, nous sommes très attachés à la liberté de conscience et de parole. C’est d’ailleurs pour ça que nous existons. On a le droit de penser ce qu’on veut mais également le devoir de ne pas dire n’importe quoi et on s’y efforce.
Depuis le 4 décembre dernier, l’article R.236-11 du code de la sécurité intérieure a été modifié au nom de la « prévention des atteintes à la sécurité publique ». Le décret remplace « des ACTIVITÉS politiques, philosophique, religieuses ou syndicales » par « des OPINIONS politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ». C’est le genre de détail dans les textes officiels qui doit nous inquiéter. Il ne s’agit plus de surveiller nos actes mais nos pensées.
Même si on n’est pas fan, la police doit rester un organe régalien de l’État au service du bien commun. Les forces de l’ordre doivent redevenir des gardiens de la paix et de la justice. La montée en puissance de la police municipale et surtout des sociétés de sécurité privées figure dans la loi « sécurité globale ». On voit déjà les dérapages supplémentaires qui se profilent.
La police doit retrouver la considération des citoyens, notre considération. Y a du boulot mais c’est peut-être pas impossible. Le gouvernement de Macron avec l’émiettement de l’Etat au service des intérêts d’une minorité de particuliers a déjà entamé une dérive dangereuse dont Libres Commères se fait régulièrement l’écho.
Un article est d’ailleurs consacré à la question des yeux doux que Jean-Marie Sermier fait à la police municipale dans ce numéro 7 de Libres Commères dont le prix reste libre malgré la dérive autoritaire du pouvoir en place.
Libres Commères appelle donc au retrait total de la loi « sécurité globale ». On appelle aussi à la Révolution mais on se contentera de ça pour aujourd’hui.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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