Mode sombre

ARTE diffuse jusqu’en octobre 2021, un documentaire en deux parties sur les Blacks Panthers. Ça vous laisse le temps, mais ne tardez pas trop non plus, car le documentaire et le mouvement en général sont particulièrement inspirants, et ce serait canon de pouvoir en discuter (à voir pour les modalités). En marge du Mouvement pour les droits civiques dominés par les figures de Rosa Parks, Malcolm X et Martin Luther King mais carrément en phase avec la vague protestataire contre l’american dream, le Black Panther Party nait en Californie, à Oakland, ce qui explique peut-être l’image très swag du mouvement. Le swag, c’est le charisme cool. Les Panthers trouvent rapidement un look qui flashe (veste de cuir noir, lunettes de soleil, coupe afro et béret noir). Ils utiliseront très bien les médias pour répandre cette image de mouvement radical, armé et culotté, ce côté guérillero urbain qui va essaimer dans tous les États-Unis: l’intrusion médiatisée dans l’Assemblée de Californie est un modèle du genre. 

ML King gardait le côté pasteur marcheur un peu béni oui oui, Malcolm X est un rien plus ska limite mafieux, mais les Panthers ont le truc pour attirer la jeunesse de la fin des années 60. On est en plein mouvement hippie et le Black Panther Party à la fois s’y inscrit par la contre-culture qu’il véhicule (look, musique, iconographie, slogans, rhétorique) mais tranche également sur la fumisterie générale du Flower Power trop intello glandeur. Les Panthers se revendiquent clairement populo-marxisto-lénino-maoïstes. L’organisation para-militaire de ses rangs visait tout d’abord à lutter frontalement contre les exactions policières en « surveillant » les arrestations de noirs. Ce n’est pourtant pas l’aspect insurrection armée qui me paraissait intéressante : on reste dans le folklore du western et du port d’arme légitime pour défendre ses droits. Ça marche dans les films mais dans la vraie vie, la police a toujours le dessus. On sait ça depuis l’extermination de la bande à Bonnot. Le BPP a développé des idées bien tranchées et mis en pratique des principes solidaires. En 1967, dans le deuxième numéro du journal Black Panther Newspaper (eh oui, pas de grand mouvement politique sans canard!), parait le programme en dix points. La justice raciale s’y adosse à la justice sociale et économique. On n’est plus dans le « one man, one vote » mais dans des revendications à la fois plus politiquement radicales et plus branchées sur les besoins premiers des gens. Souveraineté populaire, droit au plein emploi, au logement, au jugement équitable, refus du service militaire et du capitalisme, et surtout une revendication extrêmement gramscienne et moderne. C’est le point 5 : Nous voulons pour notre peuple une éducation qui expose la vraie nature de cette société américaine décadente. Nous voulons une éducation qui enseigne notre vraie histoire et notre rôle dans la société d’aujourd'hui. Voilà un axe de travail idéologique plein de perspectives: pour transformer durablement sa condition d’opprimé, il faut d’abord comprendre la nature de l’oppression. Le BPP a aussi mis en place des programmes communautaires très en avance, assez similaires à des initiatives locales d’entr’aide qu’on retrouve aujourd’hui sous d’autres formes : petits déjeuners pour les mômes, cliniques, dispensaires, dépistage, vaccination, co-voiturage pour rendre visite aux prisonniers, information et lutte contre la drogue, distribution de vêtements, université populaire pour la politique et l’économie, tout un tas d’initiatives qui fleurissaient de partout. Même sur le plan féministe, le BPP a oeuvré contre le sexiste et le machisme pourtant très prégnants dans certaines sections de l’ouest. Les femmes interviennent d’ailleurs beaucoup dans le documentaire mais j’ai noté l’absence d’Angela Davies. Si elle n’a pas été à l’origine du BPP, elle en a fait partie. Les Panthers ont ainsi créé un vaste élan révolutionnaire dont le but ultime était de renverser le pouvoir capitaliste blanc conservateur mais qui a su très rapidement s’assurer une authentique présence sur le terrain et un soutien populaire. On ne redira jamais assez l’importance d’un local ouvert au public bien placé pour entretenir une dynamique collective. Les champions du confinement l’ont bien compris. 

Voilà en gros pour la première partie qui traite de l’ascension fulgurante des Black Panthers, c’est celle qui m’a le plus intéressé mais également celle qui a mis la puce à l’oreille d’Edgar Hoover, le patron du FBI. La deuxième partie du documentaire traite de la répression du mouvement et de sa chute. Le FBI va non seulement utiliser la force brutale mais aussi les faiblesses intrinsèques du mouvement : Hoover redoutait par dessus tout l’émergence d’un messie, un leader charismatique, qui aurait entrainé tout le mouvement avec lui et l’aurait structuré. Les Panthers n’ont pas manqué de bons orateurs. Certains leaders ne manquaient pas non plus d’égo et le programme contre-insurrectionnel COINTELPRO a cherché par tous les moyens à les monter les uns contre les autres. Ça n’a pas raté. Les coups foireux se sont multipliés et le Black Panther Party a rapidement périclité, victime de son succès et du danger que celui-ci pouvait représenter. « La force des Black Panthers, c’était leurs idéaux, leur vigueur et leur enthousiasme juvénile. La faiblesse des Panthers, c’était leurs idéaux, leur vigueur et leur enthousiasme juvénile. Ça peut être très dangereux, surtout face au gouvernement américain », conclue un vieux militant en rigolant. C’est là sans doute le problème majeur des mouvements de contestation face à la machine répressive des réactionnaires : tant qu’on te laisse faire, tu ne représentes pas de danger. Si le pouvoir, sa police ou son administration te font chier, c’est que tu les emmerdes. L’opposition institutionnelle fait partie des meubles (partis, syndicats et assimilés) de la république qui agonise. Quand la justice s’en prend lourdement aux Gilets jaunes ou aux organisateurs présumés de la teuf géante à Lieuron (le procureur de Rennes annonce qu'il peut requérir une peine exemplaire « de 10 ans d’emprisonnement » contre eux), c’est qu’on a visé juste. L’ennui, c’est que pour Fred Hampton aussi, le FBI a visé juste. 

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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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