Mode sombre

Ecrire des textes pour nommer et revendiquer c’est une façon de lutter contre l’indifférence. Une façon de lutter contre les certitudes et donner à entendre à ceux qui refusent d’écouter, ceux-là mêmes qu’un vol de libellule ne trouble pas.

La situation de tout exilé est placée sous le signe du manque, de l’absence, de la perte, de la privation : de sa terre, de sa famille, de ses amis d’enfance ou d’école, des odeurs et du goût des choses laissées derrière lui. Lorsqu’il arrive, il est dans la plus grande dépossession.

Cet inventaire pourrait être intolérable mais il ne décrit qu’une partie et il  cache  des inventions, des courages. Ces hommes et ces femmes ont résisté à des dictatures, aux ordres sociaux injustes, affronté des épreuves tragiques sur leur parcours.

Le vocabulaire quotidien d’un demandeur d’asile est constitué des mots comme : interpellation, OQTF (ordonnance de quitter le territoire français) rejet de votre demande, vous êtes débouté à titre définitif du droit d’asile, refus du titre de séjour, la PAF (police des airs et des frontières) va venir pour la reconduite à la frontière…L’exilé ne peut être interpellé qu’au sens policier du terme, non interpellé au sens de reconnaissance sociale (qui es-tu ?)

Dans certaines situations extrêmes, les exilés se cachent, errent dans Dole, de nouveau migrants dans notre ville. 

Alors ACR (Accueil Citoyen des Réfugiés) paie des nuitées d’hôtel, complète des loyers pour rester à l’abri, règle des quittances en retard, des cantines, il faut cacher chez des militants,  qui accueillent chez eux : il n’est pas anodin d’accueillir dans son espace privé pour des jours, des semaines, voire des mois.

Alors il faut accompagner dans les démarches à la préfecture, il faut soutenir lorsque le découragement arrive, consoler quand la tristesse de l’exil devient forte, encourager à demander ses droits, apaiser les larmes et la rage devant la dureté de ce destin.

On a envie de témoigner parce que les situations auxquelles nous sommes confrontés nous choquent et que l’on estime important de dire ce qui  est en train de se produire.

On veut dénoncer ce que l’on voit parce que cela nous paraît intolérable. On essaye d’analyser parce que face à l’incompréhensible, on voudrait trouver du sens  et des moyens d’agir sur ce réel.

La plupart des gens ne sont pas confrontés à cette réalité. Mais en dépit de ce que l’on décrit comme  racisme et xénophobie qui se répandraient dans notre pays, des dizaines  de personnes à Dole, réagissent, organisent un minimum de services et d’humanité.

C’est vrai que chaque militant passe son temps à se heurter aux limites de ses possibilités et de ses ressources. Mais malgré ces limites, les militants choisissent de se mobiliser, de mobiliser du temps, de l’énergie et des ressources. On ne peut pas répondre pleinement aux besoins de solidarité, car des dizaines de personnes ne peuvent remplacer les politiques publiques d’accueil.

Notre société ne nous propose que de nous délier les uns des autres. Aussi  résister à cela en créant des liens entre nous et avec les exilés, c’est nous civiliser. 

Samia Coupat 


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