Santé

Sages-femmes au bord de la crise de nerfs

Publié le 08/02/2021 à 20:52 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 04m15s

Elles font sans doute l’un des métiers les plus utiles à l’humanité : aider à mettre des enfants au monde et en bon état. C’est quand même pas rien. Alors quand des sages-femmes vous racontent qu’elles sont en colère à propos de leur statut hybride (personne ne dit plus bâtard mais c’est carrément la signification), ça interpelle tout de même. J’en ai récemment rencontré quelques-unes qui m’ont expliqué comment le Ministère de la santé et l’administration hospitalière s’y prennent pour ne pas leur reconnaitre un statut qu’elle ont pourtant depuis 1803. Alors ça ne se fait pas frontalement avec juste une biffure sur le code de la santé publique où la profession de sage-femme détient un statut « médical à compétences limitées ». Elles n’ont donc pas le titre de médecin malgré leurs cinq ans d’études et les responsabilités qui incombent à leur profession. Elles sont représentées au Comité médical d’établissement de l’hôpital public mais le ministre Véran (médecin pourtant dans une vie antérieure) et consort ont « malencontreusement » oublié de les inviter pour le Ségur de la santé. Sur les listes de l’hôpital, les sages-femmes figurent sur les listes des personnels non-médicaux. Tout comme sur leurs fiches de paie. Ce qui leur vaut une revalorisation de 183 euros net à ce titre contre beaucoup plus (quatre fois environ) si elles avaient été prises en compte comme profession médicale. Y a de quoi avoir les nerfs.

Qu’on me permette au passage de pousser un petit coup de gueule tout à fait personnel car ce ne sont pas les sages-femmes qui le disent : ces revalorisations salariales qui se font au pourcentage sont parfaitement inégalitaires. Que les médecins de l’hôpital public reçoivent 1010 euros brut de plus par mois, ça fait beaucoup, non? Bien sûr, on nous parlera de ces longues années d’études, d’internat et de gardes, de responsabilités morale et juridique. Je ne le nie pas mais les études ne sont pas non plus les pires années d’une vie et il y a sans doute d’autres moyens que l’argent pour alléger le poids des responsabilités. On nous rappellera que si on veut éviter la migration des meilleurs vers le privé, il faut garder des salaires attractifs. Certes, certes, certes mais j’estime qu’à partir de 3000 euros (par individu) dans une ville comme Dole, on a de quoi vivre vraiment à l’aise (n’inondez pas la boite mail, c’est une blague!). Et tout le monde sait bien que le surplus, c’est pour mettre à gauche, capitaliser et finalement faire de l’argent sans travailler. Et ce qui compte avant tout, ce sont les conditions de travail, les fonds à injecter et les postes à créer et c’est là-dessus qu’il y a principalement à redire. Mais là, les médecins, on ne les entend pas beaucoup et surtout pas tous. Fin du coup de gueule. A la ligne. Et je n’ai même pas eu le temps de dire que je suis, sur le principe, contre les cliniques, même si je suis comme tout le monde obligé d’y avoir recours pour ne pas passer une nuit d’observation à Minjoz quand j’ai des coliques néphrétiques. 

Un dernier point. Les sages-femmes passent beaucoup trop de temps en tâches administratives : elles rentrent un nombre de données vraiment énorme dans les serveurs. C’est d’ailleurs aussi le cas des infirmières, des infirmiers et des médecins. Il y a bien sûr des raisons proprement médicales à cela et je ne vous les détaille pas. Mais tout ce travail d’archivage se fait également au nom de la protection juridique. Car les sages-femmes ne sont pas oubliées sur ce plan : en cas de pépin et de poursuite judiciaire, elles n’ont personne derrière qui se retrancher et elles doivent assumer. C’est bien sûr aussi le cas des praticiens et vue la tendance procédurière de la société néolibérale qui force sur la responsabilité individuelle, ce n’est pas une mince affaire. Et c’est sans doute sur cet aspect des choses qu’il faudra aussi se pencher d’ici peu, dans une grande refonte du système de santé, non pas avec des économies sur la mort mais dans le cadre d’un grand pari sur la vie, la vraie, belle, intense et pas trop longue non plus.

Rassure-toi, ami prudent et pacifique, je ne préconise pas de nationaliser les polycliniques et de décapiter les médecins libéraux réfractaires. Je propose simplement d’appliquer à l’envers la méthode que l’administration actuelle fait subir à l’hôpital public. Au lieu de détériorer sciemment ce qui fonctionne encore pour qu’on aille à la concurrence, il conviendrait qu’un ministère des solidarités et de la santé digne de ce nom, financé sans tricherie par la Sécurité sociale, amorce un vaste plan d’investissement à long terme pour relancer véritablement la santé publique et rendre de moins en moins attractive la clinique capitaliste. Même topo pour l’Éducation nationale face à la prolifération des établissements privés ou même associatifs. Et là, je scie la branche sur laquelle pousse mon maigre salaire.

Les sages-femmes en colère ont donc réalisé un clip vidéo qu’on peut voir sur YouTube. C’est du fait maison et ça n’a pas plus d’ambition que de nous révéler ce qu’est le métier. Mais on sent qu’elles en ont gros sur la patate. Et on a quand même l’impression qu’à l’hôpital public à part le directeur, la DRH et deux trois faux-culs à l’ARS, tout le monde en a ras le bol. Et bizarrement, l’insoutenable tient encore. 

 

Et pour vous donner une idée:

 




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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