Mode sombre

Feuilleton à l'eau de rose où il sera question d'hyperlaxisme social et de fistule idéologique -
Episode 2

01h23 du mat', quelque part dans la villette – la ville jurassienne qu'est pas bien grande malgré qu'elle se donne des airs de cité-à-chignon-qu'arborerait-en-plus-un-sac-Hermès-dégoté-à-Emmaus- mais-chut-faut-pas-laisser-fuiter-la-chose-sinon-c'est-la-femme-du-notaire-qui-va-s'en-cogner-les- couronnes-de-rire-d'une-telle-pitosité-fashionistique - ; dans un appartement. Ni grand ni petit. Un truc bien pensé pour un mec seul, avec water closet, piaule, living-roum et cuisine démodée, du type que tu crois que ta tante Sergine va sortir d'un placard avec sa blouse à fleurs en plastoc et te cuisiner des ris de veau comme du temps où le mot "vegan" existait pas et pouvait encore faire penser au nom de baptême d'une voiture française. C'est là. C'est là, dans ce machin carrelé sans surprise que se trouvent nos deux batifolants. Qui, soit dit en passant, se carrent bien les modalités du couvre-feu dans le fin fond de leurs marmites respectives. Salopiauds. Fossoyeurs du Bien Commun. Peigne-culs-déféquant-sur-l'effort-de-guerre-covidique. C'est pas moi qui le souligne, c'est Bernard, le voisin de palier de Rodéo, qui regarde le monde par la fente de sa porte depuis qu'il est en invalidité pour cause de verrue plantaire. Souriez pas. Elle est grosse, sa verrue, grosse comme la peine à Khadafi quand Sarko lui a dit qu'il était plus son copain et que ses billes, il en voulait plus dans son sac-banane en python Vuitton. ATTENDEZ. WAIT. NO PASARAN (La dernière, c'est pas la traduction correspondante mais avouez qu'elle envoie la mousseline politico- lyrique, pas vrai ?). Je remarque que ça fait pas trois lignes que j'ai commencé ma chronique et que j'ai déjà placé deux noms de marque de haute-couture. Faudrait que j'en parle à mon psy. Ca veut peut-être dire quelque chose. Pour soixante balles pas remboursé, j'espère qu'il trouvera bien un truc à me baragouiner à ce sujet, l'artiste. Je vous raconterai. Promis. J'en étais où ? Ah oui, Bernard. L'handicapé. Pardon, l'empêché palmo-plantaire. Merde. Faudrait pas me faire dire ce que j'ai failli dire si j'avais pas de la javel sur le steak linguéal. Bah Bernard, il est écoeuré. Ouais. Ecoeuré d'avoir vu le grand sifflet ramener la petite en jupe-culotte dans son T2 bis à loyer plafonné. Alors que le français, le français moyen dans toute sa splendeur civique, il se confine comme il faut, lui ; à 18 heures, il se calfeutre, il s'enterre, il s'fout sous la couverte habitationnelle, il s'étale le terrier sur l'abat-jour, il s'enrubanne de lino dégueulasse, il se scotche la gueule dans ses murs-à-papier-de- cigarette, il se bloblotte la couenne dans un air qu'y a que lui qu'a respiré d'abord, il s'endrape, il se hutte, s'encabane, il s'entoiture, s'quadruple la planche, se cloute sa poire de mec qu'a même pas le chic d'être déjà mort. Bernard, c'tt'affaire-là, ça lui monte au nez, et dans la couche pampers (rapport au cassoulet d'à midi, il préfère prendre les devants en s'ouatonnant l'arrière-boutique, sait-on jamais). Il fulmine pis, en même temps, il a la trique. C'est la faute à la jupe-culotte en tartan qui lui a imprimé la rétine. Il appelerait bien les flics rien qu'un peu pour voir mais comme y'a la vieille du cinquième qu'a posé une main comme qui dirait courante contre lui pour cause d'aération intempestive de sa charcuterie intime sur son balcon, ben, il ose pas. Alors il fulmine. Et il a la trique. Mais on s'en tamponne le coquillard, du Nanard et de sa gaule schizophrénique. Nos moutons à nous qu'y faut qu'on y revienne, c'est les deux amoraux. Les lover-gansgsters, les tricheurs-à-Castex, les dissidents d'l'isolation patriotique. Eux. Rodéo et Jumelette. Ils se tiennent mollement sur le canapé, comme des poireaux invertèbrés qu'on a oublié de mettre au frais. Une fesse assise, l'autre en équilibre dans l'interstice entre le gras du sofa et les airs où qu'y à rien. Comme s'ils allaient se lever d'un instant à l'autre pour lancer une lessive imaginaire qu'aurait besoin de tournoyer fissa. Le gars savait pas quoi servir : il voulait se jeter une binouze; elle, elle aurait préféré du rouge-qu'on-fout-pas-en-pichet. Comme il en avait pas, il y a donné un jus de tomate. Enfin, un simili. Il en avait encore pas de ce qu'elle voulait - la bibine végétale - alors il a été comme qui dirait créatif : il a pressé la fin du flacon de Ketchup dans un verre à pied, a dilué la

chiure rouge à la flotte et tambouillé avec son doigt. Elle l'a regardé d'un drôle d'air et lui a dit : - Toi, t'as de la sauce tomate sucrativo-acidulée dans ton freezer ?
- Ouais, qu'il a dit avec un air d'extincteur qu'extincte plus rien depuis longtemps.
- T'es pas de gauche ? qu'elle a demandé sournoisement.

- Si. A donf. Plus que le bras à Nadal, tiens.

- Et ta tartinade tomateuse, c'est pas comme qui dirait le symbole de l'impérialisme amerlockain ? Enfin, je dis ça, je dis rien. Le libéralisme, j'ai rien contre, moi ; même que ça m'électrise le cocotier.

- Merde. Tu veux dire que quand je spouicke-spouicke ce flacon, c'est un peu comme si je pressais les glandes anales cryogénisées de Reagan ?

Elle a même pas eu besoin de répondre. Elle a eu qu'à le regarder avec son air de jambonneau goguenard pour qu'il comprenne qu'il avait vu juste. Alors il a pris le verre à pied et l'a jeté dans l'évier en récitant un poème de Noam Chomsky pour laver son âme enkystée de burger idéologique. Elle, Jumelette, elle a vu qu'à cet instant précis, il se serait bien coupé les veines avec du fil dentaire – il avait que ça sous la main parce que comme il prône la non-violence, il a pas de couteaux dans son logis – alors elle a fait un truc. Un truc. Mais un truc. De sainte. Elle a soulevé son chemisier pis, elle a susurré :

- Viens me laper les perchoirs-à-oiseaux, Rodéo.

Rodéo a regardé ses deux tétons, roses et offerts comme des culs d'oursin au fond de la mer ; ses yeux, c'était plus des yeux mais des soucoupes à thé. Alors le gauchiste s'est levé, a titubé et s'est affalé aux pieds en-mocassinés-du-gland de la dépoitraillée en s'écriant : "God save the Queen !".

Suite au prochain épisode...


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À propos de l'auteur(e) :

Alexandra Lucchesi

En 2006 et après des études littéraires, Alexandra Lucchesi participe à la création de la compagnie de théâtre l'Oiseau Monde au sein de laquelle elle met en scène  ses propres textes. En parallèle, elle poursuit ses explorations protéiformes en écrivant des contes, des chansons, des romans. Son univers, architecturé autour d'une langue gourmande et poétique, se veut être toujours au service de la vie, sa foulée, son relief teinté d'ombre et de lumière.


Auteure et metteur en scène

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