Mode sombre

J’ai eu vent d’une grève à C&K et je suis donc allé laisser trainer mon micro devant les grilles de la boite américaine de production de commutateurs électromécaniques où vers 10h30, ce mercredi matin, plusieurs dizaines de salariés faisaient le piquet de grève. Cette dernière a commencé la veille, le mardi 23 février à 10h00. A mon arrivée, on m’indique que le mouvement concerne toute la production et quelques services support, ce qui correspond à 120-140 personnes sur un total de 352. Le motif de mécontentement concerne les négociations obligatoires annuelles, un moment convivial où la direction rencontre les syndicats.

Sans rentrer dans des détails trop techniques, il faut savoir que la direction de C&K a l’habitude de proposer des augmentations au pourcentage, ce qui, même si celui-ci est le même pour les cadres et les ouvriers, se traduit toujours par une augmentation de l’écart entre les hauts et les bas salaires. La direction partait sur du 0,8% en augmentation générale (aujourd’hui ASB : augmentation sur salaire de base) et 0,8% en augmentation individuelle ou AI (nouvellement baptisée augmentation au mérite pour ne plus avoir à la donner à tout le monde sans doute), ce qui donne du 32 euros pour un salaire de 2000. 

Entre la CFTC (majoritaire), FO et la CGT, ce n’est pas l’entente cordiale à C&K et alors que les salariés étaient plutôt demandeurs d’une prime Covid, les syndicats n’avaient pas réussi à se mettre d’accord là-dessus avant même le début des négociations. Je suis pas un spécialiste en stratégie syndicale mais j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux arriver en rangs serrés sur le champs de bataille. Sinon, ça fait désordre.

L’an passé, la crise du Covid a « empêché » l’augmentation générale et l’entreprise (ses salariés plus exactement) a subi un plan de licenciement de 45 personnes.

Après avoir consulté toutes les équipes (matin, aprem, nuit et week-end), la CGT entendait plutôt réclamer une augmentation en numéraire (150 euros brut pour les non-cadres et assimilés) avec une AI à 1,5% de manière à lisser l’enveloppe générale de manière équitable sur l’ensemble des salariés.

La direction refuse et monte ses taux à 0,9%, doit 36 euros brut pour un salaire de 2000, à condition de toucher l’AI, et c’est pas gagné quand on est gréviste.

La direction de C&K prétend que les commandes sont en dents de scie depuis le début de la crise du Covid. On ne demanderait qu’à la croire si c’était vrai. Or les carnets de commandes sont, d’après ce qui se dit devant les grilles, bien remplis et l’entreprise n’a déjà aucun souci à se faire sur ce plan jusqu’au mois de juin. Arrêtez-moi si je me trompe! Oui, oui… je vous parle des intérimaires tout à l’heure. On comprend donc que les salariés voulaient obtenir un rattrapage sur ce qu’ils n’avaient pas eu l’année dernière vu qu’on leur avait faire croire que ça n’allait pas fort. 

Pour vous la faire courte, les syndicats sont retournés voir leur base et la CGT est remontée avec une revendication: 125 euros brut pour tous. Réponse de la direction: ça mettrait en péril la société, l’enveloppe à distribuer ne permettrait pas de le faire. Elle propose alors 70 euros brut d’augmentation générale, 0,25% sur l’AI et éventuellement 0,5% d’AG si les ventes sont réalisées à une certaine date. Je suis pas un spécialiste mais ça sent l’enfumage! Côté syndicat: on est divisé. 

A 11h00, ce mercredi matin, parmi les grévistes, un certain nombre semblait prêt à accepter de reprendre le travail avec une augmentation de 70 euros auxquels s’ajouteraient tout de suite, sans attendre les ventes, les hypothétiques 0,5%, soit environ 10 euros. 

Parlons donc des intérimaires que les grévistes avaient laissé entrer sur le site pour aller bosser. Quoi des intérimaires alors que C&K vient de licencier? C’est légal? La loi stipule que, je cite le juriste Pierre Lacreuze, contrairement au recrutement en CDI, le recrutement en CDD ou en intérim est interdit par le Code du travail, mais dans un cas seulement. Le recrutement interdit est celui d’un CDD de plus de 3 mois au motif d’un accroissement temporaire d’activité, y compris pour l’exécution d’une tâche occasionnelle, précisément définie et non durable, ne relevant pas de l’activité normale de l’entreprise.

Cette interdiction ne porte que sur les postes supprimés dans l’établissement dans lequel a eu lieu les licenciements et est limitée à 6 mois à compter de la notification du licenciement économique. Par ailleurs, cette interdiction ne s’applique pas : 1) lorsque la durée du contrat de travail est au maximum de trois mois et ne peut être renouvelée. 2) lorsque le contrat est lié à la survenance dans l’entreprise (ou dans l’entreprise dont elle est la sous-traitante) d’une commande exceptionnelle à l’exportation dont l’importance nécessite la mise en œuvre de moyens quantitativement ou qualitativement exorbitants de ceux habituels.

Or l’Inspection du travail a accordé une dérogation à C&K pour prendre 45 intérimaires. J’imagine qu’elle a de bonnes raisons : les commandes sont sûrement exceptionnelles. Je ne persiffle pas, ou si peu. Certains soupçonnent l’entreprise de ne pas avoir enregistré les commandes à la bonne date pour ne pas empêcher le plan de licenciement et pour les faire passer pour une « très bonne surprise ». L’idée qu’il y aurait derrière, ce serait de faire baisser la masse salariale de 20%, soit un gros paquet d’euros à ne plus verser aux employés. C’est le genre de décisions qu’on ne peut pas reprocher à des capitalistes. Ce qu’on peut leur reprocher, c’est de ne pas jouer franc jeu et de profiter des failles de notre système.

Derrière C&K, il y a Sun European Partners , des investisseurs qui ont déjà eu des petits soucis avec Lee Cooper. Je vous laisse en tirer vos propres conclusions. Perso, toutes ces histoires comptables, ça m’épuise.

Ah, un dernier point. Comme le craignait la CGT quand j'ai quitté le piquet, la grève s'est arrêtée sans que les grévistes aient obtenu une augmentation à la hauteur de ce qu'ils attendaient. Seules FO et la CFTC ont d'ailleurs signé.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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