La seringue qui cache la forêt
Il ne fait pas bon dire un mot de travers sur les vaccins anti-Covid ces jours-ci. Émettez une objection contre le « tout à la seringue » et c’est l’arsenal anti-complotiste qui vous met en joue. Demandez un remède ou du préventif non médical, remettez les chiffres en perspective, et hop, on vous emmène de force au vaccinodrome. Allez, double dose pour les sceptiques! Ça vous apprendra à cracher sur la tombe de Pasteur. Or je l’ai déjà écrit ici, je n’irai pas me faire vacciner. Notez que je n'empêche personne d'y aller. Je ne suis pas antivax mais je pense que ce n’est que l’une des solutions à cette pandémie et qu’on veuille me faire croire que c’est la seule, ça me fout hors de moi. Tout comme la résignation de ceux qui tendent le gras de l’épaule en disant : « Qu’on en finisse pour pouvoir vivre à nouveau comme avant ! » Non, on ne va pas pouvoir revivre normalement. Faut arrêter de se voiler la fesse ! Des pandémies comme celle-là, il va nous en tomber des pires sur le coin de la gueule et plus tôt qu’on ne le croit si on continue à laisser les mêmes capitalistes cyniques faire les mêmes conneries qui nous ont menés à la catastrophe dont on commence à sérieusement sentir les effets.
Les vaccins ne résoudront rien à long terme. Il en faudra toujours plus pour sauver nos organismes anémiés et vulnérables, diabétiques et obèses, centenaires mais exsangues, avec des pathologies inversement proportionnelles au nombre de centres de soins publics qu'il va nous rester. Et trop contente d’engraisser ses actionnaires en endossant le beau rôle du sauveur de l'humanité en péril, Big Pharma va nous en produire à la pelle des solutions techniques à s’injecter, des brevets exclusifs et des protocoles sanitaires alambiqués. Big Pharma vaccinera à tour de bras parce que les labos disposent aujourd’hui de quoi fabriquer des vaccins rapidement en adaptant des bases vaccinales mises au point il y a déjà quelques années. On peut compter sur elle pour la piquouse à répétition d’autant que les remèdes ne s’appliquent qu’aux malades alors que la doxa pastorale veut qu'on vaccine tout le monde. Le ratio est vite vu pour le tiroir-caisse du capital. Avec sa tronche de Young Global Leader méritant (c'est à dire un profil à tricher au Monopoly contre François Lenglet), le pdg français de Moderna Therapeutics a déjà fait la culbute chez les milliardaires : clairvoyant ou opportuniste ? Sur le long terme, notre salut sanitaire ne viendra donc pas des laboratoires et des requins qui y croisent. Il réside dans les mers et à la montagne, dans la forêt (quand j’étais gamin, on parlait encore de forêt vierge) et dans la biodiversité, le seul vrai rempart contre les virus dont elle constitue un gigantesque réservoir. Hors-sol et sans la nature, on ne s’en sortira pas. Le passeport santé passe en force, n’empêchera personne de clamser et permettra aux plus riches de continuer à prendre l’avion pour s'éclater, faire circuler les pandémies à mach2 et bousiller un peu plus la planète! Les virus ne nous ont pas attendus pour jouer les mutants, nos masques en « peau de slip » et les milliards de seringues les font bien rigoler. Ce qui les ferait moins rire, c’est notamment du courage, de la science et une médecine en débat, des mesures efficaces et possibles à appliquer, des organismes humains en forme mais pas éternels non plus. Mais tant que les néolibéraux transhumanistes et toutologues sont au pouvoir, les virus n’ont pas fini de se gondoler et d’encombrer nos hôpitaux en « peau de chagrin ». Il va quand même bien falloir qu’on réapprenne à vivre dans la dignité et la sérénité… et à mourir de la même manière.
Ça n'empêche pas de se battre pour qu'un jour ou l'autre on fasse la peau au capitalisme et ça laisse un peu moins de prise aux vrais virus qui minent notre société : parmi ceux-là, la crainte irrationnelle de la douleur et de la mort sur laquelle Macron essaie de se refaire une santé depuis plus d'un an. J'entends déjà les bonnes âmes de Notre-Dame de la Pitié à tout prix qui m'accusent de vouloir sacrifier les plus faibles et les anciens. Pour être franc, je n'ai pas envie de les rassurer. J'ai vu mon père mourir beaucoup trop vieux et dans un triste état, reboosté de temps à autre par une sorte d'EPO entre deux soupirs de désespoir, mais pour quoi au final ? Perdre la boule à 98 ans dans un EHPAD qui facturait sa pitoyable survie au prix fort. Il ne s'est pas vu décrépir mais nous, ses enfants, si. Et on a tous accueilli sa mort comme un soulagement. Aucun de nous n'a pourtant la même idée sur la vie ni la même attitude par rapport au virus.
Ma mère est partie quelques années avant lui, légère comme une plume à cause du parkinson qui la minait. Contrairement à Papa, Maman s'est vue dépérir. Elle a géré sa danse de Saint-Guy avec beaucoup de courage et de clairvoyance jusqu'à ce qu'un toubib se plante dans les doses et qu'elle ne se réveille pas. Mes parents étaient tous les deux profondément cathos, la mort ne les effrayait pas plus que ça et ils ne nous emmerdaient pas avec leur trouille en tous cas. Mourir était dans la logique des choses à condition de ne pas accélérer le processus pour des histoires de morale chrétienne.
On ne peut bien vivre qu'à risque. La mort fait partie de notre vie et il va falloir réapprendre ce principe. Elle ne doit pas non plus devenir une obsession mais c'est une fatalité à laquelle on n'échappera pas. Laissons donc les transhumanistes délirer et préoccupons-nous de notre être ensemble. La vie n'est courte que pour le gamin qui meurt d'une maladie orpheline, pour l'ado qui se défonce au crack, pour le mineur qui s'esquinte à sortir du minerai, pour le manœuvre qui se casse le dos à monter des murs, la couturière qui meurt d'un accident du travail au Bengladesh et pour tous ceux qui d'une manière générale n'ont pas eu leur part de soleil.
A son départ à la retraite, mon père disait : « A partir de maintenant, ce n'est plus que du rab. » Les nazis lui avaient pourtant volé cinq ans de sa jeunesse en captivité. Même s'il a progressivement perdu l'appétit pour la vie, sa bonne santé lui a joué des tours. Il a traîné. Il a traîné après la mort de Maman. Il a traîné dans son mouroir sans issue où on maintient en survie artificielle ceux qui en ont les moyens. Il a traîné sur une terre où il n'avait plus rien à faire. Plus envie de ne rien faire. Mourir pour lui était dans la logique des choses mais quand ça veut pas, ça veut pas. Il est mort d'une insuffisance respiratoire, il y a trois ans ans. Même pas en réa. A l'époque, ça ne choquait encore personne qu'un vieillard agonise par étouffement d'une sorte de mauvaise pneumonie. Son corps a tenu jusqu'à 98 ans. Pas son être. Lui s'était arrêté, je ne sais pas quand exactement, mais avant. Dans ma mémoire aussi. Hors-circuit.
Hors-circuit comme tous ces anciens qui sont sortis de la piste et qu'on fait crever de peur devant la télé. Tous ceux qui rêvent de mourir centenaires dans les bras de Jean-Pierre Pernaud. Ce n'est pas qu'une question d'âge, c'est aussi une affaire de conception de la vie. C'est jamais très gai de mourir, on a toujours l'espoir de vivre encore un truc qui vaille le coup. D'ailleurs, c'est ça le bien-vivre : faire des choses qui valent le coup pour et avec des gens qui en valent la peine . On devrait appeler ça le bien-être mais l'expression s'est galvaudée avec la sacralisation du confort et du plaisir. Bien-vivre, c'est avoir la force de continuer à entretenir sa dignité et ses valeurs. Bien-vivre, c'est ne pas être un légume dans un système qui décide pour nous et rester le grain de sel dont le plat ne peut pas se passer. Quand je vous disais que ce n'est pas une question d'âge...
Alors quand Big Pharma nous promet des vaccins à tout prix contre la mort, je vous laisse deviner ce que j'en pense. On ne peut pas non plus demander à la médecine de nous sauver de la mort. J'ai 57 ans et déjà un beau parcours derrière moi (en termes rocambolesques, j'entends), j'ai des coliques néphrétiques de temps à autre, trop de fer dans le sang et un œil qui foire sérieusement mais aussi deux trois petites choses pas trop banales à dire de temps en temps (excusez ma fausse modestie). Mon patrimoine est essentiellement intellectuel, mon site internet me survivra et j'estime que j'ai encore quelques belles années devant moi à servir les idées politiques que j'essaie de partager. J'ai fait une croix sur ma carrière professionnelle et je n'ai pas envie de réussir dans une société aussi gangrenée et injuste. Il me reste donc à bien-vivre comme je l'entends ici, à lutter avec les vivants pour préparer un monde « communiste » d'après et à entretenir mes morts à moi que je rends éternels par la pensée, sans faire le jeu du néant qui m'attend mais sans l'ignorer non plus. Pas évident par les temps qui courent. Trop de cons au mètre carré, sur les ondes et sur la toile. Trop de bien-pensants et pas assez de questions. Trop de solutions en boite et pas assez de destin en commun. Trop de seringues et pas assez de forêts.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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