Mode sombre

On peut s’étonner qu’un historien de la trempe de Gérard Noiriel ait voué tout ce temps à Eric Zemmour jusqu’à lui consacrer un ouvrage entier, « Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République ». Je l’ai lu en grande partie, le parallèle est saisissant mais il a fini par me tomber des mains, un peu comme les apparitions de Zemmour qui n’arrive pas à longtemps capter mon attention. J’ai autre chose à faire, à lire et à comprendre. Comme l’écrit Noiriel, Drumont et Zemmour ont un talent rhétorique pour faire croire des choses qui ne sont pas exactes et qui sont alimentées par une vision décliniste de la France. Drumont fait porter le chapeau aux juifs (je vous le promets, je l’ai fait exprès) quand pour Zemmour, la palme revient à l’islam. Les deux polémistes sont homophobes et virilistes et écrivent une histoire de France sous un angle carrément identitaire. Je rappelle pour mémoire qu’un identitaire est un indigène blanc européen de longue date et patriote qui défend une terre, une civilisation et sa version de l’Histoire contre l’invasion cosmopolite.

Dans l’affaire de la vidéo qui l’oppose à Jean-Luc Mélenchon et à la France Insoumise, Ugo Gil Jimenez, qu’on connait tous aujourd’hui sous le sobriquet de Papacito, est soutenu par Zemmour et il le lui rend bien car il le soutiendra s’il se présente aux Présidentielles. Comme Zemmour est une transposition historique de Drumont, Papacito a pas mal de points communs avec Zemmour et notamment une faconde mythique et idéologique particulièrement bien rodée. 

J’avoue que je ne connaissais pas ce personnage avant l’affaire et j’ai peu de chances de m’y intéresser derechef. Il pratique une bouffonnerie d’extrême-droite particulièrement efficace qui aligne les punch lines à la vitesse supersonique d’un camion de déménagement plein et effréné sur la bande d’arrêt d’urgence. Il est d’autant plus redoutable que ses followers ne prendront pas le temps d’aller vérifier ce qu’il raconte et cela d’autant moins qu’il les caresse dans le sens du poil et de la gaudriole. Qu’est-ce que cet idéologue de comptoir entend exactement par « extrême gauche »? On ne l’entend jamais parlé de « libéralisme moral » bien qu’il s’y réfère constamment. Il accuse Mélenchon de tous les maux de la terre alors qu’il décrit Matzneff, Lang et consort. 

Si le cas de Papacito vous intéresse, tapez-vous l’interview sur Valeurs Actuelles. Vous comprendrez rapidement que ce gros bras de l’idéologie musclée brasse et amalgame à une vitesse hallucinante des formules bien au point et des clichés hyperboliques, une technique qui permet au bloggeur de faire des approximations du style (à propos des sports rudes) « la possibilité de blessure rudoient les hommes, les rend plus rustiques ». Ça sonne comme de l’intelligible, ça en a le goût mais ça ne veut rien dire. Je traduis : « le risque de se faire mal maltraite les hommes et leur donne un style plus campagne (plouc?) ». Alors évidemment, rude, rudoyer, rustique, ça collait mieux ensemble. Tout est bourré de stéréotypes et de raccourcis que je ne vais pas prendre le temps de démonter. Vous êtes assez grands pour le faire tous seuls. Je vous conseille également d’aller faire un tour sur les commentaires assez édifiants. Le mec fascine et pas qu’à l’heure de l’apéro, même si je n’aimerais pas avoir de tels clowns pour fans : « J'ai 46 ans, je suis fier d'être français et d'être blanc, j'adore l'Histoire de mon pays, et je suis un grand fan de la verbe de Papacito !! » En fait, je n’ai aucune envie d’avoir des fans, ce qui n’est pas le cas de Papacito à qui toute cette publicité va gonfler l’égo encore un peu plus. Pas beaucoup de femmes dans les commentaires et pour cause : le discours du monsieur est carrément machiste même si je lui trouve un petit côté efféminé dans la gestuelle qui vient contredire le vernis à la testostérone.

Enfin, sur le contenu même de la vidéo incriminée, je laisse à Mélenchon le soin de confier son cas à la justice. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de confier au système qu’on prétend défaire, à la république qu’on dit dévoyée, aux tribunaux trop souvent aux ordres, le soin de le protéger. Papacito a raison sur ce point : tout ne va pas bien se passer. Et les militants de la Fi qui croient encore aux institutions, aux élections et aux urnes vont être cruellement déçus une fois de plus. Et si bien évidemment je ne partage pas son comique troupier de paramilitaire travesti, il faut quand même bien se rendre compte qu’on va vers des temps sombres. Mais au moins, allons-y les yeux ouverts.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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