Mode sombre

Ce texte a précédemment été publié dans le numéro papier de juin.

Il a souvent été question des rêves ces dernières semaines. Deux épisodes ont été mis en exergue par les médias. L’un est la sortie de la Maire de Poitiers quand elle affirma que « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves des enfants ». Le second est le rêve du multimilliardaire Elon Musk d’implanter des colonies humaines sur la planète Mars.

La Maire a été étrillée dans toute la presse, on lui a reproché de vouloir conditionner les enfants à l’idéologie verte et de chercher à imposer sa vision du monde à tout prix. Le second a été vu avec sympathie, en cela qu’il ravivait la passion des hommes pour la conquête spatiale, forme ultime de « l’aérien ».

Louis n’est pas écolo, mais il constate que le rêve de « l’aérien » est désormais associé, en priorité, à l’argent et à la recherche du profit. On sait bien que les futurs voyageurs de l’espace, et éventuellement, les futurs vacanciers de Mars, ne seront pas le vulgum pecus, mais celles et ceux qui pourront débourser des millions de dollars pour s’offrir de telles escapades. 250 000 dollars pour dix minutes dans l’espace, annonçait dernièrement Richard Branson, autre multimilliardaire rêveur. Quant à la société SpaceX, propriété de Musk, elle proposera des séjours dans la station spatiale internationale - l’ISS - à 20 millions de dollars la semaine. C’est une fusée de la même société qui a envoyé, récemment, l’astronaute français, Thomas Pesquet, vers la station internationale. Ces rêves-là, pour nos médias, sont de bons et beaux rêves. 

En face, la formule de l’édile poitevine, Léonore Moncond’huy, fut unanimement dénoncée. Comment oser orienter, façonner ou anéantir, les rêves de nos chères têtes blondes ? Or, il semble bien qu’elle n’a énoncé qu’une évidence : depuis toujours, les rêves des enfants sont produits par leurs environnements, social, familial, historique. Les rêves ne sortent pas du cerveau (ou de l’inconscient) pur d’un enfant pur, ils sortent de cerveaux et d’inconscients conditionnés (comment dire autrement ?) par une époque, une culture, un ensemble de désirs parentaux, tant d’éléments qui déterminent (ou qui en sont les conditions) le contenu des rêves. Les enfants du Moyen-Age ne rêvaient pas du Père Noël, ni de la conquête spatiale d’ailleurs, les enfants rêvent de ce que leur monde leur présente, donc, oui, les rêves des enfants n’appartiennent pas aux enfants, mais à celles et ceux qui les éduquent, qui les aiment et qui les aident à se développer dans une société particulière, à un certain moment du temps, en un certain lieu de l’espace (terrestre !), où, par le hasard de la naissance, ils sont apparus. Un enfant d’aujourd’hui, certes, rêvera d’un Thomas Pesquet, que la télévision nous vante (nous vend ?) quotidiennement, mais sait-il ?, cet enfant, qu’en même temps, il rêve d’un allié (objectif, comme on disait autrefois) de Musk, un milliardaire qui n’a aucunement l’intention de faire le bien de ses semblables. Sinon, il aurait pu, notre milliardaire, employer ses dollars à l’éradication de la pauvreté sur Terre, ou à augmenter les salariés de son groupe, avec l’argent investi dans son rêve. Poser de telles problématiques, est-ce détruire des rêves d’enfant ?

Freud pensait, prosaïquement, que la première fonction du rêve était de prolonger le sommeil, de repousser le moment du réveil. Dans l’apologie sans critique des rêves et des rêveurs d’aujourd’hui, n’est-ce pas la même opération qui se déploie ? Dès lors, qu’entendons-nous ?, sinon : Continuez à sommeiller, à ne pas ouvrir les yeux sur la réalité, à inventer un autre monde, sans mauvaises intentions, sans mauvaises pensées, en fait, sans pensées du tout

Crédit Photo Yves Regaldi


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À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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