Y a-t-il encore un esprit sain à l’Élysée?
Cela fait longtemps que j’attire l’attention sur la santé mentale du chef de l’État. Or je ne suis pas le seul à le faire. J’écoutais il y a quelque temps Christian Combaz qui ne partage pas mes idées politiques mais dont les chroniques sur Youtube ne manquent pas de sel. Il y fait malheureusement parfois appel à de la psychanalyse à deux balles et c’est dommage car il tend à faire d’Emmanuel Macron un pervers narcissique, manipulateur au dernier degré, ce qui est le profil d’un autocrate, c’est à dire d’un homme politique qui ne souffre pas l’opposition et l’écrase comme le font les sadiques et les tueurs en série.
A mon avis, erronée, cette version est néanmoins assez intuitive et par là même convaincante sauf que, contrairement à ce que prétend Christian Combaz, je pense que Macron n’est pas à l’aise dans la séduction. Je le trouve au contraire toujours « emprunté » dans la relation : il joue mal le rôle pour lequel il se croit toutefois taillé sur mesure et sa communication est toujours empreinte d’un je-ne-sais-quoi qui cloche. Macron sonne faux comme un psychotique incapable de se mettre en phase avec autrui et au diapason du dialogue. On a toujours l’impression qu’il récite une leçon qu’il pense devoir correspondre à la situation. Mais ça tombe à plat. Son enthousiasme autant que sa colère sont en décalage et, à dire vrai, ridicules. Il donne la fâcheuse impression de manquer d’émotions véritables, ce qui rend ses discours si insupportables pour certains, au-delà même de ce qu’il y signifie.
Or le pervers narcissique joue au contraire sur les ressorts de l’empathie, modèle son discours sur les attentes de l’autre et trompe son monde grâce à sa faculté à dissimuler ses réelles intentions jusqu’à l’instant propice où il se dévoile. Pour Macron, le soi-disant pouvoir de séduction ne marche qu’avec ceux que la fonction présidentielle aveugle et dans une moindre mesure ceux dont il sert les intérêts, ce qui ne devrait à l’heure actuelle représenter qu’à peine 10% des Français.
Le dernier bouquin de Gérard Davet et de Francis Lhomme, « Le traître et le néant », semble aller dans ce sens, je dis bien semble car je n’ai pas vraiment l’intention de me farcir les 600 pages de témoignages de l’enquête et les 110 témoins, tous piochés dans les cercles plus ou moins proches du pouvoir élyséen. J’ai en revanche longuement écouté l’entretien que les deux journalistes du Monde ont accordé à Serge Faubert sur Blast. Ce dernier essaie bien, sur la fin, d’orienter la conversation vers la pente glissante du « on a accouché d’un monstre » en parlant du président mais Davet et Lhomme restent malgré tout dépendants d’un a priori favorable vis-à- vis d’Emmanuel Macron. Ils refusent de passer le pas, éclairent brièvement quelques aspects du personnage mais en restent au caractère romanesque de l’opportuniste entre Rastignac et Bel-Ami. Le lecteur du Monde de Campagnol TV y trouvera son compte.
Tout au long de l’entretien, je me suis demandé comment ces deux-là pouvaient continuer à prétendre qu’Emmanuel Macron est très intelligent alors même qu’il a commis des erreurs politiques et économiques grossières, aligné les intuitions foireuses, les formules maladroites, et fait des choix désastreux pour le pays. Comment peuvent-ils encore accorder du crédit au chef de l’Etat français le plus honni depuis Napoléon III? Tacticien plus que stratège (moi je dis = court-termiste incapable de planifier, calculateur à la vue basse, diviseur national, semeur de merde), pas intellectuel mais rêvant de l’être (= d’une réflexion sans profondeur et dévoré par l’ambition d’être un véritable penseur capable de marquer le siècle), trop technocrate pour comprendre son peuple (= psychotique et rigide, déconnecté de l’Histoire), menteur à propos de son propre CV (= dénué de valeurs morales et du sens de l’exemplarité, délirant et fabulateur), avec le « regard du tueur » pour les photographes (= méchanceté envers ses supposés persécuteurs, cruauté craintive envers tout ce qui sort de sa représentation et de son fantasme), les journalistes avaient tous les ingrédients pour dresser un portrait d’Emmanuel Macron loin des clichés élogieux des courtisans et des fadaises médiatiques des pétochards mais ils ont finalement préféré rester sur des considérations finalement assez hagiographiques : tous les scandales qui éclaboussent son entourage « glissent sur Emmanuel Macron. Il a cette capacité et c’est une force il faut l’avouer, à détourner tous les tirs. C’est comme s’il avait une armure qui le protégeait y compris des assauts médiatiques. Il y a une sorte d’indulgence générale dont n’ont pas bénéficié ses prédécesseurs. » La vérité, c’est que personne dans son entourage n’ose le débiner pour de bon car tout le monde craint ses réactions autoritaires : toute résistance est ressentie par le paraphrène qu’il est, comme une volonté de nuire au statut suprême dont il a la charge: la présidence. Et pour Macron, c’est être à la tête, en tête même, le premier sur le coup. Sur tous les coups.
Certains doivent quand même bien se rendre compte que Macron a pris la tangente et que sa dérive est sans retour. Et il sera au fil des mois de plus en plus hermétique à la réalité et rétif à la contestation. Mais comme l’État français tel le capitalisme contemporain est parti en vrille dans une course folle à la courbette et au paillasson, personne n’ose taper du poing sur la table pour lui dire d’arrêter ses conneries dangereuses pour le pays et proposer la destitution du paltoquet malade. Ils étaient nombreux à réclamer la tête de Trump, encore plus à vouloir les couilles de Poutine sur un plateau, mais là, y'a plus personne.
Davet et Lhomme n’ont bien sûr pas interviewé le président lui-même. Ils prétendent qu’il aurait menti parce qu’il est très fort à ce jeu-là. Une fois de plus, je pense que Macron n’arriverait pas à la cheville d’un DSK sur ce terrain. L’élève de Brigitte Trogneux ne ment pas, il est habité par son illusion: il est halluciné, il n’a aucun sens critique sur sa personne, aucune objectivité sur sa véritable condition et est bien sûr totalement inconscient du trouble psychotique dont il est la victime plutôt suffisante. S’il tire un pénalty plus mou qu’un pet de Flamby, le ballon doit rentrer dans les cages quoi qu’il en coûte. Si l’apprenti-virologue en chef décide que la troisième dose sera obligatoire dans les musées déserts pour faire plaisir à ses mentors et épuiser les stocks, tout le monde doit retrousser la manche. Macron ne conçoit même pas qu’il puisse avoir tort: en bon paraphrène néolibéral, il pense que c’est le monde malveillant qui lui résiste et s’il lui résiste, c’est qu’il est retors et réfractaire à son sens de l’innovation, à sa vision futuriste d’un nouveau monde sous contrôle. Car Macron croit innover. C’est même le symptôme de son mal. Alors que, quand il fait des galipettes avec MacFly et Carlito, il ne sait pas qu’il réinvente le bouffon du roi et les mascarades, mais en moins bien. Quand il signe à tours de bras des chèques de 100 euros pour l’indemnité-inflation, il oublie la brioche de Marie-Antoinette et l’aumône pour les pauvres de la paroisse. Quand il croit traiter d’égal à égal avec Merkel et Biden, il est à la hauteur de Louis II de Bavière face à Bismarck. Quand il propose d’acheter des bottines en caoutchouc à 150 balles sur le site de l’Élysée (notre photo) pour rénover l’édifice, il me rappelle la boutique à souvenirs du Prince sur le rocher de Monaco. Il croit innover, il est toujours en retard de deux ou trois wagons. C’est sans doute pour cela qu'il a du talent pour séduire les vieux. Les jeunes ne sont, en général, pas assez cons, ou alors c’est qu’ils souffrent de dégénérescence précoce.
Je vous renvoie à l’entretien de Blast qui ne manque, malgré mes réserves, pas d’intérêt comme le livre n’en manquera pas en tant que somme de témoignages. Cependant cet a-priori trop favorable sur l’énigme Macron, cette tendance à en faire un homme d’exception dans une version parfaitement saine, fausse la vision globale du cas et ne fera au mieux (ou au pire) qu’égratigner l’icône présidentielle.
Pour la majorité des Français de la rue au contraire, un truc cloche chez le chef de l’État. Un truc grave qui pourrait passer pour du vice. On attribue trop facilement ça à ses origines. Si son extraction bourgeoise n’arrange rien, cette lacune affective et relationnelle tient à sa paraphrénie (pour les plus accrochés c’est par ici) qui l’empêche d’être réellement présent dans l’échange, dans la conversation, la collaboration et surtout la communion avec les Français. Il se sent exceptionnel, investi d’une mission qu’il est le seul à pouvoir remplir et quitte jour après jour, un peu plus, la communauté des mortels. Ce n’est pas son bon vouloir : cela se produit à l’insu de sa volonté. Emmanuel Macron nous quitte de jour en jour un peu plus à cause d’un trouble autolytique que personne n’ose diagnostiquer.
Quand Davet et Lhomme restent au bord de l’assiette en avançant que le chef de l’État serait un « opportuniste habité par son propre destin », je mets les pied dans le plat et je prétends que ce type est un paraphrène, atteint d’une forme assez originale de folie des grandeurs mais profondément touché tout de même. Il n’est pas particulièrement intelligent, brillant en surface pour les moins perspicaces et plutôt habile à feindre le jeu social bourgeois mais la soi-disant élite française n’a jamais été aussi con et médiocre, aussi entichée de sa propre décadence qu’aujourd’hui. Alors naturellement dans cet univers où ça ne vole pas haut, le « faucon marteau » fait figure de surhomme.
DSK, lui, est un vrai pervers narcissique et s’est même sexuellement révélé sadique. Et je vous laisse vous souvenir de la manière dont il avait embobiné la terre entière, masqué de multiples parties fines et fait croire qu’il se grillait lui-même ses steaks dans sa kitchenette américaine, avant son dérapage incontrôlé au sortir de la douche. Les Grecs lui élevaient des statues alors qu’il les entubait au FMI. Les Français allaient l’élire en faisant chauffer la vaseline. Macron n’aurait pas tenu dix minutes face à lui. Car il n’est pas bon dans la communication, c'est-à-dire dans la négociation, la joute verbale et donc dans l’affrontement politique. Comme l’a observé Emmanuel Todd, Macron est le champion toutes catégories du « tunnel », ce monologue qui n’en finit pas. Les qualités majeures d’un bon interlocuteur, c’est d’abord d’écouter même quand on a la parole et de ne pas lasser son auditoire. Pas de jouer les cakes sur YouTube ou de pérorer pendant sept heures devant des maires somnolents.
Macron n’est pas non plus à proprement parler un dominateur mais l’ambition le dévore à tel point qu’il en est perché dans son Élysée. Son trouble ne relève donc pas de la perversion mais de la psychose, d’où cette impression que la majeure partie des Français a d’être prise de haut et méprisée par celui qui devrait être au service de la Nation. Plus que du mépris, je pense qu’il y a chez lui la sensation bien ancrée de ne pas être toujours compris par un peuple décidément pas à la hauteur de son génie créateur et de son sens du destin. La conception de la société par Emmanuel Macron est forcément inégalitaire et hiérarchisée. Son milieu d’origine, son idéologie néolibérale de « young leader » et sa pathologie le poussent à n’envisager le corps social que sous la forme d’une pyramide dont il partage le « rooftop » avec ses amis, les grands de ce monde (= les tricheurs et les menteurs).
Ce n’est philosophiquement pas un démocrate et le fait qu’il s’isole de plus en plus dans un réel qu’il se construit et qui n’est pas en phase avec la réalité que nous éprouvons chacun à notre manière rend ses décisions toujours plus inattendues, incongrues et, malheureusement pour nous, inadéquates à nos problèmes, nos défis et nos aspirations.
Ça tient aussi au fait que le Président de la République n’a que peu de pouvoirs réels, c'est-à-dire au niveau macro-économique. La bureaucratie européenne et le capitalisme international au service duquel elle s’est placée en sont les véritables acteurs. En apparence, Macron peut faire illusion dans le décor. En profondeur, il est impuissant, tout juste bon à instaurer en surface un régime politique autoritaire pour que les affaires se poursuivent à tout prix. De plus, on a l’impression de l’extérieur que l’autocrate décide de tout, tout seul. C’est en tous cas l’idée qu’il a de sa « mission »: faire les choix seul. J’ajouterai: faire seul les choix qu’on n’attend pas. Il se croit l’unique maître à bord et l’intendance peine souvent à suivre. Certains décrets sont même carrément inapplicables, ce qui les délégitime et ce qui le rend pathétique mais également dangereux.
Pourtant il y a autour du président une palanquée de conseillers-courtisans et ces gens préparent les dossiers sur lesquels son éminence tranche ensuite parce que, laissé à lui-même, le moyen-bon élève Macron est un laborieux, au final pas très inventif et parfois carrément conformiste et ringard, d’un modèle périmé. Il ne fait qu’appliquer souvent mal à propos des idées et des techniques conçues par d’autres, ses goûts littéraires sont ceux de la prof de français qu’il a épousée et le « Mozart de la finance » vante des plans de relance qui ne tiennent pas la route. Ça doit phosphorer dur autour du petit monarque pour trouver les trucs qui vont lui plaire et qu’il va valider en croyant en définitive que c’est lui qui en est à l’initiative, car c’est ce qu’il veut : être à l’initiative, le premier sur le coup, quitte à ne pas être le meilleur mais comme il peut se contredire sans tiquer dans les jours qui suivent, peu lui importe. Les contradictions qui nous sautent aux yeux n’ébranlent pas sa foi dans l’irrésistible vision qui l’habite : être à l’initiative, le premier sur la brèche, pour prendre tout le monde de vitesse. Et lorsque la réalité lui résiste trop par sa force d’inertie, il pique des colères et cela semble être de plus en plus fréquemment le cas. S’il ment, ce n’est pas par psychopathie mais parce qu’il n’a qu’une version versatile des faits. La contradiction ne le dérange pas plus que ça, non pas parce qu’il est fin dialecticien, mais parce qu’il n’a qu’une acuité intellectuelle bien ordinaire. Emmanuel Todd dirait que c’est un crétin.
C’est assez facile de faire le malin quand il n’y a que des pleutres autour. D’ailleurs dès qu’on l’ouvre, on gicle en Macronie (Borlo, Bayrou, Général de Villiers). Ne restent dans sa cour que les ultra-loyaux même si leur casier judiciaire fait le plein: Macron tolère l’inacceptable parce qu’il ne les sent pas persécuteurs. Édouard Philippe a compris cela et reste à l’écart mais dévoué pour ne pas prendre de coups bas.
Je pense donc qu’Emmanuel Macron est le jouet à la fois d’intérêts macro-économiques qui le dépassent et de sa propre conviction délirante qui l’empêche d’avoir une vision lucide de sa véritable importance dans le dispositif national et sur l’échiquier mondial. L’ennui, c’est que sa pathologie, la paraphrénie, cadre parfaitement avec l’idéologie néo-libérale telle que l’a défini le Colloque Walter Lippmann dès 1938. Pour faire bref, la multitude, n’étant pas capable de faire les bons choix, seule et mal guidée, file droit vers le fascisme. Par conséquent, il faut l’inciter à bien se comporter sans vraiment lui demander son avis. C’est le rôle d’une oligarchie économique, politique et administrative d’utiliser des techniques modernes de "management" et de gestion des foules pour gouverner efficacement pour le bien de tous. C’est un nouvel ordre mondial qui peut paraître fascistoïde pour le réel communiste que je suis mais qui semble dicter par la nécessité de la situation. Il y a dans la suite macronienne de joyeux profiteurs corrompus et une mauvaise foi ambiante mais d’une manière générale, je pense que l’essentiel de la caste dirigeante s’estime légitime et en droit de gouverner sans l’accord de la majorité de la population qu’elle juge inapte à l’auto-gestion. Des beaux-quartiers, on nous voit comme des ploucs réfractaires à l’évolution inéluctable du monde moderne.
Il ne suffira donc pas seulement d’extirper le pantin psychotique de l’Élysée mais il va falloir nettoyer les incuries d’Augias à grandes eaux, c’est à dire balayer la classe politique et l’administration actuelle qui ont pris de très mauvaises habitudes à suivre la montée en puissance de ce paraphrène. Il faudra ensuite s’opposer à l’idéologie pseudo-libérale qui gangrène notre pays depuis des années et dont Emmanuel Macron n’est finalement qu’un symptôme spectaculaire.
Comme le marquis de Sade, DSK pouvait fasciner. En revanche, Macron me fait pitié. Tel Pinocchio berné par Stromboli, le montreur de marionnettes, mais c’est un pantin devenu insupportable parce que les incompétents qui l’entourent lui doivent beaucoup et l’assistent servilement (du ministre au proviseur, en passant par le préfet) jusqu’à rendre la vie impossible à ceux qui ne filent pas doux entre le pass trucmuche et le label machin.
Il n’est sans doute pas très bon de « psychologiser la vie politique ». Seuls ne devraient compter que les actes et les idées. Encore faudrait-il que le pouvoir en ait et n’attire pas les malades en son sein. Or sadiques fréquentables, paraphrènes légers et paranoïaques ordinaires hantent les arcanes de la Vème république, qui entretient tout ce petit monde de parasites qui s’entr’enculent en dilapidant nos impôts et en vendant le bien commun français au plus offrant. Les propositions à faire devront à la fois arracher les manettes économiques à la bourgeoisie, remplacer dans nos imaginaires la publicité mercantile par des aspirations plus dignes et prévoir des modes de gouvernement partagé et équilibré qui permettront d’évincer ceux qui montreront les prémisses de faiblesses déontologiques, c’est à dire l’abus de pouvoir, l’abus de confiance, le corporatisme et la démesure. Autant dire que les révolutionnaires ont du pain sur la planche et des doses massives d’humilité à administrer à tous les échelons parce que ça ne va pas s’arranger tout seul.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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